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 Apostrophe aux contemporains de ma mort

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Ocazou

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Masculin Lion Singe
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MessageSujet: Apostrophe aux contemporains de ma mort   Apostrophe aux contemporains de ma mort Icon_minitimeSam 21 Mai 2011 - 10:40


Apostrophe aux contemporains de ma mort
I.S.B.N.: 978-2-87459-513-4
(Deuxième partie, pages 138 à 148.)
______________________________

[...]
Il s’arrêta devant la porte numéro quatorze. Il avait à la main une petite clef. Il ouvrit. Nous entrâmes. Il referma prestement la porte et, dans le même mouvement, en fit glisser la targette.
La chambre était sombre, car un gros rideau rouge était tiré devant la fenêtre. À côté duquel, sur le mur, l’embrasse de câblé pendait à sa patère. On y voyait toutefois suffisamment pour se mouvoir et manier les objets – à aucun moment, il ne fut proposé d’ouvrir ce rideau. Dans un autre mur, une portière du même tissu rouge masquait, pouvait-on présumer, l’accès d’un cabinet de toilette. La chambre, qui n’était pourtant pas bien grande, donnait une impression de vide ; non qu’elle fût démeublée, mais parce qu’il y manquait toutes choses qui se trouvent nécessairement dans un lieu où l’on vit, surtout un garni d’étudiant. Pas un vêtement, pas un verre à boire, pas un papier, pas un livre, pas un bibelot, rien, ni rien non plus de fixé ou pendu aux murs, tendus de papier peint bleu pâle semé de roses. Si l’on avait mis hors : le lit de fer à quenouilles surmontées de boules de cuivre, couvert d’une courtepointe jaune capitonnée dont les falbalas tombaient à toucher le plancher, la chaise de bois clair, le secrétaire à rouleau, dont le cylindre levé laissait voir qu’il ne contenait pas même un crayon, et l’armoire de pitchpin, on aurait fait place nette de tout.

Les premiers mots de l’Irlandais furent pour me faire ses excuses de ce qu’il n’y eût qu’une seule chaise. Je m’assis sur le bord du lit. Il jeta sa casquette adroitement, de manière qu’elle s’accrochât à l’une des boules de cuivre comme sur un champignon de portemanteau. Il me demanda si je voulais boire quelque-chose. Je ne me rappelle pas ce que je répondis. Il alla jusqu’à l’armoire et l’ouvrit. En bas du compartiment disposé en penderie, dont la tringle était dégarnie de tout cintre, j’aperçus une valise de cuir sanglée, et un gros sac de marin en toile grise, fermé par un cordon passé dans des œillets de fer, l’un et l’autre bagages visiblement bourrés. Il retira de dessus une tablette deux verres à liqueur qu’il saisit pincés ensemble entre le pouce et l’index, et de l’autre main il empoigna par le goulot une bouteille à corps carré. Il n’y avait rien d’autre sur les rayons de cette armoire que ces deux verres et cette bouteille. Il amena la chaise face à moi, y posa les verres et la bouteille, puis s’accroupit à côté.

Jour de Dieu ! Qu’il était fort cet alcool ! J’eus suffisamment de tête pour ne humer que d’infinitésimales lichées de ce rogomme qui me pavait la langue et me brûlait l’œsophage ; sinon, j’aurais été malade.

Notre oaristys aurait moins été la furtive accointance de complices de hasard, j’eusse osé la seule demande qui pût m’inonder de soulagement : d’abord, j’aurais remercié ce garçon de sa gentillesse, et de m’avoir choisi ; puis je lui aurais fait comprendre combien j’avais déjà pris sur moi, et que c’était beaucoup pour une seule journée. Le cœur battant, j’aurais accepté un bécot sur la joue, ou que nous nous tinssions les mains. Enfin, j’aurais promis, juré – croix de bois, croix de fer ! – de revenir le lendemain « pour la suite ». Je voulais bien m’embarquer pour Cythère, mais avec des escales ; une promenade à deux au clair de lune, une tête posée sur mon épaule, un baiser surpris, de doux aveux … Heureusement, mon éducation m’avait imbibé d’un sens de la convenance me permettant de ressentir l’inopportunité dans n’importe quelle situation.

Pour tout confesser, mon défaut de pratique me laissait en doute les déportements qu’on attendait de moi, et cela me transissait. Qu’on ne se méprenne pas ! Bien évidemment, j’avais compris dès longtemps à quelles impudicités les grandes personnes, honteuses de confronter l’enfance à l’hommerie, sacrifient dans ce que Nietzsche qualifie d’adytum réservé à l’âge plus avancé. Mais restait que pour apprécier jusqu’où les salauderies – ainsi dit Brantôme – pouvaient se donner carrière, je n’avais rien à partir de quoi me régler, rien entre “La Leçon d’amour dans un parc” de René Boylesve et les spintries de Tibère à Capri dans Suétone.
Par-dessus le marché, piteux de mes dispositions du moment toutes contraires à celles de l’amour à son plus haut période, je me refroidissais encore à la pensée que mon dada demeurât court à Lérida.

Bientôt s’installa l’évidence que les bagatelles de la porte traînaient en longueur. Je ressentais douloureusement que mon compagnon me sollicitait par des silences qui attendaient ma voix, des hésitations qui quêtaient ma participation, des coq-à-l’âne essayant successivement des paroles qui fussent un biais pour aller de l’avant.
Pauvre de moi ! Elle était là, la folle panique qu’on appelle dans l’Iliade « sœur de la déroute qui glace les cœurs » !

C’est alors que, dans ma détresse, je ne parvins pas à mieux que d’excogiter un bas jeu de mots de vieux drille égrillard, suprême hoquet dans mes efforts à contre-effet pour me laisser glisser dans l’atmosphère des derniers abandonnements. M’avait tout soudain passé par la tête un idiotisme relevé il y avait peu dans le “Dictionnaire des Mots et des Choses” de MM. Larive et Fleury (dont je lisais souvent quelques pages avant de m’endormir), parce que cette façon de parler, qui se tournait naturellement en une interrogation désidérative appelant la fin de nos difficultés, est susceptible d’un libidineux second sens pourvu qu’on aide grossièrement à la lettre, double entente pitoyable à quoi j’eus la sottise de me complaire comme à une débauche d’esprit préparant les voies à une autre.
Pour ma punition, cette lamentable équivoque, je vais vous la dire.
La voici, – et je demande qu’on ne s’y attarde pas : « Mais quand donc va-t-il se décider à toucher la grosse corde ? »
Oui, je mérite un sourire affligé, et je ne le sais que trop par moi-même, car il y eut des suites : longtemps, si la rareté de l’expression « toucher la grosse corde » m’épargnait de la rencontrer, je n’ai pu tomber sur des locutions approchantes, comme « toucher la corde sensible » ou « appuyer sur la chanterelle », sans la vague ressuscitation d’un malaise.

La garrulité de l’Irlandais n’était plus qu’un bruit. Je n’osais ni le regarder, ni éviter de le regarder. De temps en temps, je buvais un petit coup, juste de quoi m’enflammer le gosier ; mon verre, toutefois, ne cessait pas d’être plein à ras bord. J’avais chaud, et cela me venait par bouffées ; j’entendais un peu lointainement. Le casse-poitrine, si peu qu’il m’en descendît dans l’estomac, n’y nuisait pas. Je me tenais roide, coudes au corps. Je considérais les rais de jour qui se faufilaient par le pourtour du rideau, ou je cherchais à m’absorber dans la vision des lignes du plafond. J’avalais ma salive. Je n’avais pas eu l’idée d’ôter mon blazer ni de desserrer ma cravate. Le col de ma chemise m’irritait. Entre les omoplates, la sueur me plaquait le maillot de corps sur le dos. Il allait falloir passer le pas, et je pouvais de moins en moins reculer.

Le sommier bougea : l’Irlandais s’était assis à côté de moi. Je ne fis pas un mouvement, je ne tournai pas les yeux, même pour guigner. Je ne le voyais pas, je ne sentais pas son contact, mais son souffle sur mon cou, oui. Et il s’était tu. J’étais suspendu dans le vide. Impossible que cela durât. J’avais les mains appuyées à plat sur les cuisses. La moiteur de mes paumes était sensible à travers le tissu de mon pantalon. Par l’effort d’une volonté de tête que tous mes esprits refusaient, je levai tétaniquement un avant-bras, décollant une main. Maintenant, cette main soulevée, il fallait bien que j’en fisse quelque chose, elle ne pouvait pas rester en l’air. Aussi je la déplaçai horizontalement, puis, sans cesser de regarder fixement droit devant moi, je la laissai tomber sur une cuisse qui n’était pas l’une des miennes, laquelle je harpai comme fait un mourant qui s’agrippe.
Ensuite je ne sais plus, j’ai un trou de mémoire. Je crois que les événements se sont précipités. Qu’on sache seulement que d’assis je me suis retrouvé couché sur le dos, qu’il n’était plus à côté de moi mais sur moi, et que de paroles entre nous il ne pouvait être question, car il s’affairait à rendre la chose impossible à lui comme à moi.

Seuls les saints peuvent parler de tout en propres termes. Ainsi Georges Fox, fondateur des Quakers, a-t-il proclamé sa nuit de noces en apothéosant l’œuvre fécondatrice d’un long jet de liqueur.
Nous autres, qui ne sommes pas « du nombre de ces âmes simples et innocentes à qui tout est permis » comme dit Saint-Cyran, nous devons nous rabattre sur l’allégorie, telle que la définit Dumarsais dans son traité des Tropes : « discours qui est d’abord présenté sous un sens propre qui paraît tout autre chose que ce qu’on a dessein de faire entendre, et qui cependant ne sert que de comparaison pour donner l’intelligence d’un autre sens qu’on n’exprime point. »
À la fin du neuvième siècle, Abbon l’Humble, jeune diacre de l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés, entreprit de chanter en hexamètres latins le siège de Paris par les Normands, dont il avait été un témoin. C’était la première fois qu’il se jetait dans la composition littéraire ; son poème s’ouvre par une invocation dédicatoire à l’écolâtre Aimoin, auquel il devait ses lettres profanes, et à la censure éclairée duquel sa reconnaissance aspire : « Ô Aimoin, ô mon maître sacré, moi, ton disciple fervent, tout en couvrant de mes baisers et tes mains et tes pieds, je respire après l’heure où tu auras cure de ces raisins encore verts, toi qui m’a enseigné la houe et l’échalas, afin qu’ils s’aoûtent sous la pluie que tu vas y répandre et dans les feux que tu darderas sur eux. Sans cesse tu plantes et tu fouilles ta terre, ô maître admirable, et tu travailles ta vigne. Maintenant que pour la mûrir tu en appelles aussi à mes pluies et à ma flamme, verse-moi, je t’en prie, ton doux miel. Car ce dont nous gratifient ces pampres et ces grappes ne laisse pas d’être d’abord ton ouvrage. »
Je ne fus pas un adepte moins enthousiaste, mais je n’entendais pas tenir le second rôle entre les mains qui me défrichaient ; je sus éviter les gestes godiches par lesquels mon inexpérience de la frénésie eût déféré à mon initiateur. Dès l’étrenne de mes sens, le novice que j’étais se trouva convaincu d’avoir gagné sa franchise. Alors bientôt j’eus le diable au corps, et même je m’excitais à justifier pour notre compte ce que dit ce vers de Villon :

« Selon le clerc est duit le maître. »

Nos fureurs contentées, nous retombâmes sur le lit, et demeurâmes confondus en un culbutis de bras et jambes languissants, sans même le souci d’effacer la poisseuse débâcle de notre ardeur. Quelle était chez ce garçon la part de la lassitude dans cet abandon, quelle, celle d’un tendre sentiment qui n’osait se déclarer ? Dieux du Ciel ! J’étais encore suffisamment béjaune pour balancer.
Il m’aurait été salutaire dans le moment et doux au souvenir que notre déduit se terminât, comme certaine élégie de Maxime Pacificus, par un relâche plein de cajolerie où

«  Échangeant les baisers que se font les colombes,
Tendrement enlacés, nous nous reposions.
Quant à ce que j’ai fait, je suis fou si j’en parle ! »

Mais il était décidément écrit que tout devait être une leçon dans cette mémorable journée.

J’éprouvai bientôt chez mon compagnon, que j’enveloppais de câlins et de picoteries amoureuses n’amenant que soupirs d’aise convenus et sourires entendus, un détachement qui, je ne le ressentait que trop bien, se fût changé en agacement si j’avais insisté. Il est simplement rendu, pensai-je d’abord – et j’aime à croire que cela reste un bien-fondé de ma jeune présomption –; sous peu, j’aurai du change. Je fus bien détrompé.
Il se leva brusquement. Il enfila son caleçon. Il s’interrogea à voix haute sur l’heure qu’il pouvait bien être. Saisissant son pantalon, il plongea la main dans une poche pour en tirer une montre. Ciel ! Déjà ! Il avait à faire. Il avait rendez-vous. C’était dit comme le rappel en passant, à l’occasion d’une réflexion incidente, presque un a-parte à la cantonade, d’un fait qui dût m’être constant. Mes sous-vêtements, qui traînaient sur le plancher ici et là, furent par lui ramassés en un tournemain et jetés en tapon sur le lit à côté de moi. Je suis demeuré couché sur le ventre. Il s’assit au bord du lit, l’air un peu ennuyé. Pour mettre mon lever en train, il me patinait la fesse taquinement. Il fallait que je me rhabillasse. On pouvait venir. On ne sait jamais. De plus, il était tard, et il avait encore des choses à préparer … À son grand soulagement, je me mis sur mon séant et commençai de passer mes vêtements. Ne m’étant pas lavé, j’avais quelques poils qui collaient.
C’était le rat de ville qui a invité le rat des champs ! Sauf que sur la fin du dessert écourté par les alarmes, je ne le conviai point de retour. Je pressentais par ce garçon ce que j’allais dans l’avenir éprouver à maintes reprises, que

« Toute sa nation est sujette à l’amour ;
Mais cet amour s’allume et s’éteint en un jour :
J’aurais tort de vouloir qu’il en eût davantage. »
(Corneille, “Sophonisbe”, acte V, scène 2.)

Ce qui n’empêche pas que je ne me suis jamais fait à l’empressement qu’ont les repus de vous montrer la porte, comme dans un hôtel en pleine saison après que vous avez réglé la note.
[...]Apostrophe aux contemporains de ma mort 1_de_c12
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MessageSujet: Re: Apostrophe aux contemporains de ma mort   Apostrophe aux contemporains de ma mort Icon_minitimeDim 22 Mai 2011 - 23:29

Waw, quel style !
C'est de toi tout ça "Ocazou" ?
A propos, bienvenue à toi, puisque tu as mis toute de suite quelque chose ici. C'est très bien d'ailleurs : on souhaiterait que chacun fasse pareil !

Tu nous dis un peu plus sur toi ?
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MessageSujet: En effet …   Apostrophe aux contemporains de ma mort Icon_minitimeMar 24 Mai 2011 - 23:38

Je suis sensible à votre opinion favorable. J'ai eu la chance de trouver un éditeur (à compte d'éditeur) ; cela dit, je ne pense pas que les ventes s'envoleront. Ceux des éditeurs qui ont refusé le manuscrit sans s'en tenir à la lettre-type m'ont bien fait comprendre qu'il n'y avait plus de marché pour les textes en français classique quelque peu élaboré.
Cordialement.
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MessageSujet: Re: Apostrophe aux contemporains de ma mort   Apostrophe aux contemporains de ma mort Icon_minitimeJeu 26 Mai 2011 - 15:09

Beh alors vas-y, fais-toi ta pub !

Où trouver ton bouquin ?
Quel éditeur ?
Quelles références ?

Surtout n'hésites pas, et mets-nous donc une photo un peu plus grande de ton livre, si possible !
Trouver un éditeur chez qui tu ne dois pas payer un euro, ça devient rare, non ?
Ton livre doit donc être super !

Dis-nous aussi un peu plus sur toi ?
Mets-nous, par exemple, le 4ème de couverture ? (c'est comme ça qu'on dit, pas vrai ?)

Allez, soit pas timide, et dis-moi "tu" hein : c'est l'usage sur les forums ou groupes !
Bisous de Tony
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MessageSujet: À Tony   Apostrophe aux contemporains de ma mort Icon_minitimeVen 27 Mai 2011 - 18:40

C'est gentil de m'inciter à faire de la réclame. D'habitude, sur les forums, on fronce plutôt le sourcil quand les auteurs vantent leur production. Quant à moi, s'agissant d'un écrit tombé de ma plume, j'éprouve quelque gêne à faire l'article : question de bon goût. Je préfère mettre sous les yeux des lecteurs des extraits, afin qu'ils se fassent une opinion par eux-mêmes. Pour les références, [url='http://www.bookfinder.com/search/?author=maginhard&title=apostrophe+aux+contemporains+de+ma+mort&lang=fr&isbn=&submit=Begin+search&new_used=*&destination=be¤cy=EUR&mode=basic&st=sr&ac=qr']l'I.S.B.N. suffit pour commander un livre n'importe-où dans le monde.[/url]

http://www.cdiscount.com/livres-bd/f-105-9782874595134.html
http://www.furet.com/apostrophe-aux-contemporains-de-ma-mort-1557010.html
Chez l'éditeur

Le livre, qui est entièrement écrit dans un narré de rêves ou de contes, contient trois parties. Seule la seconde, dont j'ai donné ici un extrait, est le récit d'une aventure avec un garçon.

Sur la présentation de l'auteur par lui-même, voici mon avis : en littérature tout est dans ce qui est écrit, et tout doit l'être. La promotion de la personne de l'auteur, la valorisation de sa situation sociale, de ses relations, l'obligation qui lui est faite d'être sympathique, d'être favorablement jugé à part de ses écrits, d'être physiquement proche de ses lecteurs potentiels lors de séances de signatures par exemple, ne sont que des biaisements destinés à provoquer un acte d'achat pour des livres dont on serait bien incapable de justifier qu'ils sont, par leur contenu, meilleurs que ce que la production courante des éditeurs propose par ailleurs.

Cordialement.





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MessageSujet: La couverture   Apostrophe aux contemporains de ma mort Icon_minitimeVen 27 Mai 2011 - 18:52

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MessageSujet: Re: Apostrophe aux contemporains de ma mort   Apostrophe aux contemporains de ma mort Icon_minitimeVen 27 Mai 2011 - 20:27

Merci, Ocazou, d'avoir répondu à ma demande.
Et pourquoi ne pourrais-tu pas présenter ton livre ici ? Après tout, c'est un forum de littérature, non ?
Ce n'est pas parce que nous privilégions la littérature gay que nous sommes fermés au reste, rassures-toi !

Bon, beh voilà, nous en savons un peu plus sur ton oeuvre à présent, et sur toi, beh il faudra te lire si j'ai bien compris ?!
Remarque, ton extrait m'avait beaucoup plus, même si ton français peut sembler un peu... d'un autre siècle (sans te vexer hein !). On croirait lire du Bazin ! Pas "Hervé" hein, non "René Bazin", qui est plus ancien, lol.

Enfin voilà, si quelqu'un veut acheter ton livre, il peut à présent le faire plus facilement.
N'hésites pas à dire si tu fais des séances de signatures à gauche ou à droite, pour ceux qui aiment ça.

Bisous de Tony
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MessageSujet: Extrait : La mort du père.   Apostrophe aux contemporains de ma mort Icon_minitimeVen 27 Mai 2011 - 22:33

(Extrait : La mort du père. Troisième partie, pages 175 à 181.)

Un gros bouquet de fleurs rouges, d'un rouge profond et sombre, girandole de pelotes chiffonnées serrée dans un vase pansu, remplissait d'un parfum suave, non pas fort mais doucereux, obstiné, de ceux qui s'attachent à vous et qu'on sentira sur vous ailleurs, cette petite pièce nue où tout était d'un blanc parfaitement lisse, tellement que les murs jouaient de reflets brillants. Ce vase était posé sur une petite table roulante de malade, du modèle dont le piétement métallique n'a de montants que d'un côté afin qu'elle soit amenée devant un alité adossé à un oreiller. Ce vase était le seul objet qui restât dans la chambre, vers l'heure de midi, après que mon père y fut mort dans la nuit. Les fleurs se défraîchissaient. Au pourtour du bouquet, quelques lourdes corolles accablant leurs tiges veules baissaient la tête vers la table, sur laquelle des pétales étaient tombés. Je n'avais pas remarqué, les jours précédents, que le parfum fût aussi sensible, mais il y avait les odeurs de pharmacie. Et sans doute les fleurs se pâmaient-elles moins. La veille et l'avant-veille, personne n'eût osé s'occuper de ce bouquet, dont l'éclaboussement de sang, seule refuge de l'œil dans cette blancheur impersonnelle et nosocomiale, semblait une recherche d'esthétisme tragique. D'une main, je balayai le dessus de la table autour du vase, ramenant dans la paume de l'autre main les pétales détachés. N'ayant pas où les jeter, je les fourrai dans ma poche.

C'est au premier étage qu'était cette chambre. La seule fenêtre donnait sur un petit jardin de roses, fermé au public par une grille basse. Comme si l'on avait eu souci d'écarter le passage des vivants. À l'intérieur du bâtiment, la porte ouvrait au bout d'un long couloir. Comme pour en épargner l'approche aux gens qui n'avaient rien à y faire. Dans la chambre, la fenêtre, établie au fond d'un ébrasement épais, haute d'enseuillement au point qu'on ne saisissait l'espagnolette que le bras en l'air, avait ses vitres dépolies jusqu'au-dessus de nos têtes. Pourtant, le seul vis-à-vis, un autre édifice de l'hôpital, se trouvait à bonne distance. L'habitant de ce réduit, debout, pouvait seulement porter les yeux dans le feuillage des grands arbres qui bordaient l'allée, jeter la vue vers des toits, ou arrêter un regard lointain sur les petites fenêtres aux derniers étages du bâtiment d'en face, derrière les carreaux dépolis desquelles, à la nuit, on apercevait parfois des silhouettes floues. Couché, il ne pouvait plus rien contempler que le ciel.

Au début de l'après-midi, le soleil donnait par la fenêtre. Alors, l'intersection du faux meneau et des deux croisillons projetait sur le lit mécanique, et sur mon père y gisant qui ne se relèverait plus, l'ombre grise d'une grande croix déjetée, comme on en voit brochées à plein lé sur les draps mortuaires des chevaliers du Moyen Âge.

Le soin qu'on avait apporté à estomper le spectacle et le murmure de la vie faisait de cette petite pièce ripolinée une écluse vers le néant. Un cri d'enfant y ouvrait un abîme. Les bruits du dehors n'étaient jamais forts ; quelquefois cependant, pour ne pas continuer d'entendre des voix joyeuses ou futiles, on refermait la fenêtre qu'on avait entr'ouverte.

La chambre d'un mourant n'est sonore que des conversations insignifiantes qui le bercent dans le Léthé chimique des médecins et soulagent les familles. Pour celui qui va s'éteindre, les réalités du présent, au-delà des quatre murs qui isolent le lit de mort, sont révolues. S'il a l'âme forte, il arrive qu'il s'en enquière. C'est pure amabilité ; c'est pour s'agripper au monde par les usages du monde. Évoquer ces réalités devant lui, c'est lui confirmer que le terme est accompli, c'est lui signifier sa mort, dont on cherche à feindre qu'il peut se distraire. Le relèvement d'un oreiller, le change du pansement qui maintient la piqûre intraveineuse d'un goutte-à-goutte, l'adoucissement d'un éclairage, sont la grande affaire et les seules attributions libres aux veilleurs d'agonie, desquels la Mort préside sous main la funeste assemblée. Que celui qui va passer, désemparé de n'obtenir que des alibiforains comme réponses à ses demandes - et qui en perdra pied, qu'on le sache! -, en vienne à seulement faire observer que le temps est au beau, ce n'est qu'avec gêne et tortillage qu'on est amené à lui céder du bout des lèvres que, quelque part ailleurs, dehors, dans l'univers qui lui défaille, où ceux qui vivent avec les vivants s'en donnent à cœur joie, sur les étendues qui se refusent, illimitées d'espace et comblées de lumière, c'est-à-dire partout, il fait grand soleil, on ne peut le nier.
Aux ultimes nuits d'hôpital, à l'orée desquelles j'étais de ces visiteurs à qui les infirmières muettes portent une couverture et du café à l'heure où elles reconduisent malgracieusement tous les autres vers la sortie, qu'avais-je à dire à mon père ? Ce qu'il avait à me dire, lui, je ne l'ai jamais su, car il ne m'a rien dit. Ce que j'avais à lui dire, il ne l'a jamais su, car je ne le savais pas moi-même, je ne voulais pas en rappeler ma mémoire. Le choix qu'on fait du silence, plutôt que de se relâcher enfin du respect humain pour parler d'intelligence à intelligence, plutôt que de de saisir la dernière occasion de s'entre-connaître, est une lâcheté facile à colorer de hautes excuses. Nous nous complaisons à estimer que nous évitons un déboutonnage peu compatible avec un lieu de respect. Nous avons peur que le moribond emporte dans son éternité des propos imparfaits, inachevés, regrettables, que nous ne pourrons jamais corriger - belle échappatoire qui trouve sa justification dans l'humilité. Nous craignons que l'instauration de la parole véridique nous oblige à écouter des choses que nous ne voulons pas entendre. Nous ne savons comment faire pour que les mots définitifs de l'un ou de l'autre ne prennent pas l'attristante tournure d'un arrêté comptable de regrets. Nous fuyons la rétrospection, parce qu'elle prend nécessairement des allures de récapitulation, ce qui fait effroyablement sentir qu'ayant tourné la dernière page nous sommes à la table des matières, avant que tout se referme. Le refus d'exploiter l'occasion offerte par une circonstance qu'on veut bafouer a parfois sa noblesse ; mais non pas ici, car ce qu'on élude n'aura pas d'autre rencontre, et tire sa valeur de ce qu'il rachète un arriéré de fidélité ou de loyauté. Enfin, avouons-le, ô honte!, nous savons que nous allons être promptement dégagés de ces épines.

Je sortis de la chambre pour quitter l'hôpital, sans chercher à revoir l'infirmière qui m'avait invité à monter reprendre le vase. Je ne l'ai pas croisée, ni aucun des membres du personnel avec lesquels j'avais été en rapport. Quand il constateront que le vase est encore là, ils comprendront que je le leur abandonne.

En passant sous le porche qui, au bout de l'allée principale de l'hôpital, donnait dans la rue, je mis la main dans une poche de mon pantalon pour saisir les clefs de mon auto. Des pétales froissés et déchiquetés étaient amalgamés au trousseau. J'agitai les clefs, je secouai ma poche retournée, jusqu'à ce que le dernier lambeau de pétale fût sur le trottoir. Puis, tout en portant la main devant le nez afin de flairer ce qu'il restait de parfum sur mes doigts, je me suis demandé où diable j'avais garé ma voiture. Je ne savais plus où j'avais laissé ma voiture. J'avais une Traction-Avant. Une Quinze. Une des premières Quinze-Six : en guise de clignotants, en haut entre les portières, des flèches articulées ; à l'arrière, un capot de malle moulant la roue de secours, et, sur le garde-boue de gauche, une plaque minéralogique brisée en angle rentrant. Je l'avais stationnée à cheval sur un trottoir, cela, oui, il m'en souvenait, mais non pas dans quelle rue, ni du trajet que j'avais fait à pied après l'avoir quittée. J'ai commencé à visiter méthodiquement les rues qui bordaient l'hôpital, puis celles qui y aboutissaient, enfin toutes les rues avoisinantes, prenant soin de ne pas en laisser d'imparcourues entre l'hôpital et moi. Je tombai inopinément sur mon auto, à un carrefour que je ne me rappelais pas autrement ; pourtant, sitôt que j'y fus et que j'y eus découvert ma Traction, l'endroit me redevint connu d'auparavant, avec son café du coin, sa placette garnie de quelques bancs et son kiosque à journaux. Je n'ai pas compris comment le souvenir avait pu s'en dérober. J'avais bien mis trois quarts d'heure à retrouver ma voiture.
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MessageSujet: Extrait : L'appel des sirènes.   Apostrophe aux contemporains de ma mort Icon_minitimeVen 27 Mai 2011 - 22:56

(Extrait : L'appel des sirènes. Troisième partie, pages 208-210.)

[À Paris, tous les premiers mercredis du mois, à midi – autrefois, c'était le jeudi –, on essaye les sirènes. Ce que les vivants ne savent pas, c'est que ces sirènes appellent les morts pour les faire monter dans la barque à Charon. Pour le narrateur, qui rêve sa mort, ce sera un bateau-mouche sur lequel, enfant, il avait fait une partie de plaisir … Le passage ci-dessous est consacré à la description du bruit de ces sirènes.]

Nous étions un jeudi. Il fut midi. Alors, comme tous les premiers jeudis du mois à midi, une sirène, derrière l'horizon des toits, commença de répandre sur Paris son mugissement grandissant. Puis une deuxième, qui continua de s'élever tandis que la première retombait de ses vibrations les plus hautes ; bientôt celle-ci reprit son ascension, tandis que celle-là, au contraire, se faisait rémisse. Enfin, ce croisement se répétant, une troisième sirène entra en danse. Le mêlement des strideurs qui remontaient vers les aigus avec celles qui redescendaient dans les graves imposait que c'était un moyen qu'on variait pour mieux s'assurer d'un but, une ruse pour que toute l'étendue de l'ouïe fût intéressée, un procédé pour qu'il n'y eût pas de certains murs qui étouffassent le ululement, pour qu'il traversât tous les matériaux, pour qu'il se répercutât dans les cours d'immeuble en un remous rugissant. Le son envahissait sans atténuation sous les combles en montant par l'espace entre les chevrons au-dessus des sablières, inondait les escaliers, faisait irruption dans les cuisines et les salles de bains par les prises d'air ouvertes sur les façades, se transmettait par l'intermédiaire des vitres frémissantes, dévalait par les soupiraux dans les caves, se déversait par les regards d'égout jusque chez les rats qui, alarmés, se rassemblaient en bandes inquiètes trottinant au hasard sur les banquettes des grands collecteurs.

Pas une créature vivante qui n'en fût atteinte. Des chats se coulaient où ils pouvaient. Quelques pigeons s'essoraient, battant l'air retentissant ; incapables de se dérober au vrombissement obsesseur, ils se posaient bientôt. Parmi les chiens interdits, certains relevaient la tête et poussaient un long aboi lamentateur.

Pas un homme qui n'en éprouvât l'appel dans son être. Et parce que l'oreille était pleine, l'œil s'abusait à ressentir que tremblaient de ce bruit les feuillages ; qu'à la surface de la Seine, l'onde s'en trouvait ridée.

Près de moi, les gens regardaient vers le ciel, comme s'ils étaient pris dans l'effet d'un météore observable. Une petite fille se bouchait les oreilles en grimaçant.

La dernière sirène débraya, entamant le vol plané qui allait la faire descendre jusqu'au silence. Quand elle fut au plus bas, on demeura un instant suspendu dans le doute si le cri exténué avait encore une réalité pour l'oreille, ou si l'on était sous le coup d'un reste d'assourdissement.

Enfin fendit l'air une fée fugace filant en tous sens parmi les hommes et les bêtes, dispensant à la ronde le coup de baguette qui délivra chacun du charme qui avait immobilisé tout le monde. On renoua les conversations interrompues, on reprit le geste discontinué de ce qu'on était à faire.

Jamais je n'avais éprouvé la sirène du jeudi comme en ce jour. Ce ne fut plus un avertissement ; elle m'avait évoqué, elle m'avait pénétré intensément, elle m'avait investi intimement. Elle m'avait réclamé, elle m'avait possédé. Après qu'elle se fut tue, j'eus l'impression de me retrouver dans une réalité invisiblement changée.
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MessageSujet: Re: Apostrophe aux contemporains de ma mort   Apostrophe aux contemporains de ma mort Icon_minitimeVen 27 Mai 2011 - 23:00

Merci et bravo, cher collègue auteur !
Et bienvenue sur ce groupe où notre Tony a bien fait de t'accueillir comme il l'a fait, et comme j'aurais fait moi-même !

Ainsi, si tu es à l'aise parmi nous, c'est très bien, et je te remercie de nous offrir des extraits de ton oeuvre.

A bientôt, chaque fois que tu veux !
Amitiés d' Alexandre
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MessageSujet: Un peu plus … (1er message)   Apostrophe aux contemporains de ma mort Icon_minitimeSam 11 Juin 2011 - 19:01

Il me déplaît de donner l'impression que je suis venu pour faire de la réclame au sens commercial du mot.
Il m'intéresse beaucoup plus de mettre le texte sous les yeux de gens qui l'apprécierons véritablement que de faire vendre quelques exemplaires qui me rapporteront une poignée de francs dans un an.
D'autant que le livre est trop cher : 23.60 euros pour 230 pages. C'est l'effet des petits tirages à compte d'éditeur.
Je vais donc mettre ici en ligne tout le chapitre « gay » (En plusieurs message puisque le volume du texte dépasse la limite auturisée) — mais chut ! Rien à mon éditeur.
(Soit dit en passant, des extraits des autres parties du texte sont disponibles en ligne à l'adresse suivante :
Huit extraits d'“Apostrophe aux contemporains de ma mort”)




«J'aimais quand j'étais jeune, et ne déplaisais guère ;
Quelquefois de soi-même on cherchait à me plaire.»
(Corneille, “Pulchérie”, acte II, scène Ière.)






Je ne me rappelle pas si j’avais quinze ou seize ans. De toute façon, c’était à quelques jours près, car nous étions en septembre et je suis né en septembre.

D’abord je remercie mon père. Parfois interrogant, volontiers ironique, toujours trop perspicace, il n’eut pas un mot ni une mimique lorsque par malaventure nous nous croisâmes dans le vestibule, ce que je voulais à tout prix éviter ce samedi après-midi. J’étais sur le point d’ouvrir la porte pour me glisser sur le palier quand il avait surgi derrière moi, sortant de son bureau pour aller chercher un client dans le salon qui servait de salle d’attente. Il faut dire que j’étais habillé d’une manière extraordinaire. Je portais un blazer de flanelle bleu marine sur une chemise imprimée dont les motifs représentaient des oiseaux, une cravate rouge vif, un pantalon écru à revers, couleur crème – pli irréprochable, et rien dans les poches pour ne pas déformer le tomber de l’étoffe – et des chaussures de ville anglaises à bout fleuri. Ces chaussures, je les avais consciencieusement briquées avec de la pâte et un linge s’il vous plaît, méprisant le vulgaire applicateur à éponge, pourtant seul employé jusqu’alors pour une opération, disons-le, très inhabituelle pour moi malgré cette facilité. Ce n’était que la deuxième fois de ma vie que je mettais ce blazer. Et j’avais choisi les chaussettes du même rouge que la cravate. Je laissais derrière moi l’effluve entêtant d’un parfum acheté au hasard. La veille, j’étais allé chez le coiffeur sans qu’on m’en eût prié. Cette recherche vestimentaire n’était pas un endimanchement qui aurait eu son jour par ailleurs ; ma crainte n’était pas celle d’un reproche ou d’embarrassantes questions pour avoir tiré de leurs housses hors de propos des élégances qu’on voulût préserver par économie. Il y a, dans les familles, des habits qui sont l’objet d’un soin et d’un ménagement particuliers, non par le souci qu’on a de demeurer toujours en situation de paraître, mais parce que ce sont les ajustements cérémoniels de la saga. Étrennés dans de mémorables circonstances, parfois hérités d’un aîné fabuleux, on les reconnaît sur les photographies, on remémore les solennités qui les chargent un peu plus de symbole à chaque fois. Bien sûr, on est tacitement convenu de ne les décrocher que pour des occasions condignes. Tel était, par exemple, mon blazer bleu. Il avait été acheté récemment, à La Belle Jardinière si ma mémoire est exacte, en vue du mariage en grand tralala d’un lointain cousin. À peine eut-on posé sur la table du salon cette veste encore pliée dans son emballage de papier, qu’on décida souverainement de lui faire subir une modification qui ratifiât que ce serait une grande tenue. On conservait, dans des cantines entreposées à la cave, un trésor d’objets hétéroclites qu’on avait cru, un jour, devoir garder : épaves sacrées des générations précédentes, ainsi que chopins de friperie et de brocante. S’y trouvaient, parmi tout un saint-frusquin permettant de raccoutrer les costumes les plus inattendus, les boutons d’un uniforme de marin, de gros boutons bombés de métal doré, ornementés d’une ancre au jas entortillé d’une gumène. Je n’ai jamais bien su comment ils étaient arrivés là, ni pourquoi on les avait d’abord gardés. Rien ne fut plus urgent que de les coudre à la place des banals boutons de troque plats et percés de quatre trous, qui sont pourtant la fermeture ordinaire d’un blazer. Pour ce travail d’aiguille, ma mère s’était posée dans un fauteuil Louis XVI du salon. Penchée en avant, à côté d'elle sur une orphée sa boîte à ouvrage ouverte, elle était tout à sa couture, dans la minutie et le silence. Pendant ce temps, assis en tailleur à l’autre bout de la pièce, je la regardais. Il n’y avait d’autre bruit que le frottement du tissu, les coups de ciseaux, et la vibration de l’aiguillée qu’on tend avant de piquer. J’étais intimidé : toujours m’a jeté dans la gêne la pensée qu’on fût tout cœur pour s’employer à mon profit, qu’on s’appliquât parce que c’était moi. On voulait, sentais-je alors, m’obliger en me faisant contracter une inacquittable dette de sentiments. J’avais l’impression qu’on cherchait ainsi à prendre insidieusement possession de moi. Ma réaction a toujours été un mouvement de recul ; aussi je remerciais peu, et j’évitais de témoigner de la reconnaissance. Après l’amour maternel, il s’en est présenté d’autre sorte. Jamais je n’ai su m’abandonner comme il convient, ni ébruiter mon cœur.
Un échange de propos, dont j’essayais follement d’anticiper les répliques à mon avantage, aurait piteusement confirmé l’air « bizarre » qu’on m’avait trouvé au déjeuner. Non : de prime face, mon père n’aurait pu se garder d’un mouvement de surprise qui eût ensuite jeté dans son inadvertance voulue la gêne d’une comédie appuyée ; dans mon dos, il sut prendre le bon parti en un instant. Je n’eus pas même le temps d’avaler ma salive pour articuler une banalité à faux, qu’il avait déjà saisi le bec-de-cane de la porte vitrée du salon. D’ordinaire, mon père se contentait de se pencher par l’entr’ouverture pour faire signe à son client ; ce jour-là, il entra tout entier dans la pièce, me laissant le champ libre pour déguerpir.
Dans ma fuite, je ramenai d’une main la porte d’entrée pour la fermer à la volée. J’ai encore le claquement dans l’oreille.
Nous habitions au deuxième étage. L’escalier baignait dans une luxueuse pénombre colorée entretenue par des vitraux modern-style qui prenaient jour sur une étroite cour de service encaissée de tous côtés comme un puits. Sans donner de lumière, je dévalai jusqu’au premier, d’une course si désordonnée que je sentais glisser sur le nez des marches l’épais tapis retenu par des tringles de cuivre. Là, je fis brièvement halte pour recueillir mes esprits.
J’enrageais de m’être laissé prendre sans vert. J’aurais pu, tout bonnement, me précautionner à temps d’un mensonge, par exemple un spectacle, une soirée, une fête chic, n’importe quelle invitation façonnière enfin, qui justifiât ma braverie ! Mieux encore : organiser plus adroitement ma sortie clandestine. Mais, non ! Jouet du génie malin qui pousse à ce que les moyens qu’on emploie pour éviter ce qu’on redoute soient les maladresses qui le provoquent, j’avais bêtement rendu évident que j’espérais m’esquiver en tapinois. Le coup était irrattrapable.
Au demeurant, il est vrai, je n’avais pas l’habitude de me répandre en éclaircissements sur mes projets, et l’on n’avait pas celle de me demander le détail de mes faits et gestes. Bien entendu, le parti-pris de me laisser sur ma bonne foi pour ce qui regardait mes loisirs et mes sorties avait ses limites, plus étroites qu’on ne l’aurait reconnu, passé lesquelles on s’autorisait des remarques. Il était rare qu’on en vînt là, car j’avais le sentiment aigu du moment où j’allais franchir les bornes : c’était précisément lorsque la liberté dans laquelle je me trouvais de ne pas rendre de comptes versait dans l’indifférence irrévérente, l’inconsidération, le dédain du souci qu’on avait de moi. Il en était ainsi, par exemple, quand je bousculais le train de la maison par des horaires irrespectueux d’autrui. Alors, on attendait des explications ; s’il n’en venait pas, on feignait à avoir scrupule d’en exiger, tout en faisant pesamment sentir qu’elles manquaient.
On n’imagine pas que mon père rattrapât quelqu’un pour le morigéner. Une réprimande de sa part, c’était, bien après, lors de propos amenés sans qu’il eût l’air d’y toucher, le regret incidemment confié d’avoir relevé chez un familier le comportement de gens qui n’ont pas droit de cité ; sous ombre de généralité, on me représentait comment tel manquement, véniel d’apparence, répond à ce que l’espèce humaine peut avoir de bas. Le reproche prenait naturellement le tour d’un chleuasme désinvolte par quoi mon père doutait d’être à la hauteur de son rôle. De sorte qu’une remontrance, dans sa forme tout au moins, ne quittait jamais des voies obliques. Les principes par lesquels je fus élevé me laissaient donc déroger, sans alerte dans l’instant, aux valeurs dont on voulait me pénétrer. La sanction diffuse m’imposait un retour sur moi-même, qui éclairait moins là où j’étais tombé en faute – quel gamin n’est pas conscient de ses bêtises ? – qu’elle ne m’obligeait à démêler par quelle inclination maligne je m’étais d’abord engagé sur une pente où le pied devait me glisser. Les gens qu’a gouvernés, enfants, la punition immédiate de l’infraction par le coup de gueule ou la fessée, qui fait de l’apprentissage de la bonne conduite un dressage avant tout, et qui conditionne les mouvements réflexes de la civilité puérile et honnête, pourraient être portés à m’envier de ce qu’on me laissât la bride sur le cou. Qu’ils se rendent compte que la sanction unique et prompte est clémente au coupable, auquel elle permet de connaître la tranquillité dès que l’orage est passé, et, s’il n’éclate pas, les douceurs de l’impunité certaine. Au lieu qu’on n’avait cesse de raviver en moi, par des piqueries savamment éparses, l’humiliation d’une circonstance où j’avais défailli à être le vase d’élection d’une grâce qui justifiait un sang, ce par quoi on me tourmentait du doute intérieur jamais chassé que je pusse en devenir déchu. On ne pouvait pas même me pardonner : l’amnistie, qui ne lave pas le crime, est une occasion de le rappeler. Du reste, comme tout me paraissait concerté pour qu’une peccadille fût ineffaçable, je n’aurais senti dans un pardon qu’un dédain. Dans l’adolescence, l’irrespect, l’entêtement, la contradiction, la dissimulation même, sont en certaines rencontres les débordements nécessaires d’une sève mal contenue, une rébellion qui est l’école de la liberté, plutôt qu’une perversité du caractère ou un vice de l’éducation. Il faut que l’enfance célèbre de petites Saturnales.

Car enfin, j’avais eu tout le temps de la fermer posément, cette porte !

Du premier étage au rez-de-chaussée, l’escalier d’abord descendait en tournant jusqu’à un repos à hauteur d’entre-sol, après quoi, s’affranchissant des murs par un quart de tour, il s’élargissait graduellement, comme un perron, pour venir s’étaler en bas. Là, on était surplombé par les révolutions des volées qui s’envolaient vers des cintres perdus dans l’altitude. Face à l’arrivée des marches, une baie en anse de panier ouvrait largement sur le hall. D’un côté, un mur concave, échiffre de la descente depuis le palier du premier jusqu’au repos, formait un trapèze gauche couronné de la balustrade servant de garde-corps. Dans ce mur, une porte permettait d’accéder à un bref couloir qui menait à la cour. De l’autre côté, il y avait la cage de l’ascenseur. La frêle cabine de bois ciré attendait, dissimulée par des entrelacs de ferronnerie noire ainsi que par un feuillage. Le sol était une dalle de marbre blanc, sur quoi se continuait le tapis de l’escalier, laquelle débordait en arc de cercle dans le hall dont elle surmontait le pavement de la hauteur d’une contremarche. Cette dalle avait l’apparence d’un premier degré à l’escalier, d’une largeur et d’une foulée gigantesques. Lorsque je m’y tenais, j’avais l’impression d’être sur la scène d’un petit théâtre dont le hall était le parterre.
Prendre l’ascenseur ne m’avait pas traversé l’esprit. C’est qu’il me fallait détaler en payant de ma personne, m’efforcer dans un élan, sans d’ailleurs qu’au début de cet essor il y ait à faire la part de la fuite précipitée et de l’excitation à un aventureux et inavouable pourchas dont je réserve l’éclaircissement pour la suite. D’ordinaire, j’aimais utiliser l’ascenseur, ne fût-ce que pour en narguer l’interdiction aux enfants non accompagnés, intimée sur une petite plaque de cuivre.
L’enfant garde comme des formules magiques des bouts de phrase, des enfilades de quelques mots sans queue ni tête, qu’il a mal compris, qui tirent origine de circonstances qui sont pour lui des temps d’inanité. Il y met ce dont le discours des grandes personnes lui refuse l’expression, il aime à se les répéter comme des litanies, peut-être une nostalgie de la berceuse, qui musiquent ses petites fééries en ce qu’elles ont d’irréductible au monde des adultes, mal distingué de la nécessité universelle et des lois de la nature, dédale de murailles gigantesques, imprévisibles, lisses, impassibles, coéternelles aux astres dans le ciel, parc à jouer aux barrières de granite entre lesquelles l’enfant ne s’ébat jamais sans se cogner. Parce qu’avec le temps l’amusette relaye la liturgie, certaines de ces incantations ont traversé mes âges. Ainsi, jusqu’à une époque qui ne précédait pas de bien loin celle de ce samedi, autant je franchissais d’étages dans la cabine de l’ascenseur qui glissait au bout de l’énorme piston nickelé et luisant de graisse sorti des entrailles de la terre, autant de fois je reprenais cette turelure biscornue :

L’antique
Ascenseur hydraulique
Au train de sénateur ...

Car, si on la commençait, au passage de chaque palier, à l’instant où un buttoir solidaire de la cabine heurtait une roue caoutchoutée formant la tête d’un marteau articulé fixé à la cage, et si on lui imposait la prolation dont j’avais l’exacte mesure dans l’oreille, alors, les déclics et les frottements des dispositifs mécaniques scandaient fidèlement les deux premiers vers, comme si ils s’y engrenaient, puis faisaient silence, jusqu’à ce qu’à la fin du troisième précisément le frappement du marteau suivant donnât le signal d’attaquer da-capo.
Le hall, dans la pénombre, était dominé par la masse obscure de l’immense lustre éteint. Au bout du hall, la porte bâtarde de l’immeuble, ainsi que le guichet ménagé dans l’un des lourds vantaux, passage ordinaire des habitants, étaient fermés. Toutefois, il y avait là des accidents de lumière vive, car l’huisserie n’était pas si jointive que la clarté du dehors ne s’y faufilât. L’encadrement du guichet était marqué par une ligne de jour, grêle et discontinue ; ça et là, aux feuillures des vantaux de la grande porte, des filtrées de soleil descendaient tacher de flocons pâles les dalles noires et blanches qui faisaient du sol du hall un grand damier. Ce resplendissement qui, masqué imparfaitement, dardait son éclat partout où il pouvait s’insinuer, m’était un appel à le rejoindre et à prendre le large.
Le lustre était un monumental étagement de couronnes surchargées de pendeloques, d’amandes, de fleurs hyalines et autres motifs de bimbeloterie limpide ; la plus large et plus basse de ces couronnes, sur tout son pourtour, retenait par leurs deux bouts des lacés de perles formant un fond arrondi comme une coupe. L’éclairement de ce somptueux fouillis de cristal le faisait paraître à mes yeux une ville aérienne étincelante comme on peut la représenter dans un conte fantastique. Parmi la lumière brisée à l’infini dans la verraille biseautée, fusaient de ténuissimes rayons colorés. Les enfants aiment s’exposer par jeu à des dangers imaginaires. Je me complaisais à prévoir qu’un simple tire-fond, dont on n’apercevait d’ailleurs pas même l’anneau, ne pouvait suffire à résister éternellement au poids d’un ouvrage à ce point imposant. Je me plaçais juste sous le lustre, je levais la tête, et je supputais avec délices si, l’attache rompant maintenant, j’avais le temps ou non de me jeter à l’écart assez vite pour n’être pas écrasé. Et même lorsque je traversais le hall sans m’arrêter à cette menace, je ne laissais pas d’avoir dévotion à mon frisson superstitieux, en ceci que je faisais un crochet pour éviter de passer au-dessous du lustre.
Je suis demeuré quelques instants immobile sous l’arche qui séparait l’arrivée de l’escalier et le hall. Je n’eus pas envie de faire de la lumière. De temps à autre provenait de la rue le roulement assourdi d’une voiture, ou quelques paroles étouffées, échappées de propos tenus par des passants qui, marchant devant l’entrée de l’immeuble, éclipsaient de place en place sur la porte les rais de jour qui se glissaient par les interstices. Je ne pouvais pas continuer à rester planté là, songeur et interdit ; il me fallait me lancer. D’un instant à l’autre, quelqu’un pouvait descendre l’escalier ou entrer dans l’immeuble ; d’ailleurs, il était étonnant que cela ne se fût pas déjà produit. Quelqu’un qui me trouvera debout immobile dans le noir. Je gagnai la sortie à grandes enjambées et je me jetai dehors.
La porte du guichet se referma sur moi avec un triple bruit familier : frottement du pêne qui se retire en touchant le coin de la gâche, claquement du pêne y retrouvant son trou et tremblement de tout le vantail quand cette petite porte eut cogné sa battée.
C’était une très belle journée, un ciel encore d’été, une chaleur qui enveloppait, un soleil qui plaquait l’ombre fraîche sous les arbres, une lumière qui se riait dans les vitres. En posant le pied sur le trottoir, je marquai un temps d’arrêt. Je cillai, et parce que j’étais ébloui, et par l’effet d’un plaisir ou plutôt d’une excitation. Dans les années où le geste balance entre l’enfance et l’âge viril, le costume décide et enseigne. Ainsi le nouement de la cravate ; de même, le large mouvement du bras plongeant dans l’intérieur de la veste, durant lequel je caressais du dos de la main la soyeuse doublure de bemberg pour faire glisser dans une poche intérieure profonde un épais portefeuille, gros d’un inutile porte-cartes aux multiples volets vides prévu pour les documents d’une émancipation future. J’expirai profondément en avançant la lèvre du bas, dirigeant ainsi le souffle vers le front afin de balayer ma frange de cheveux – c’était chez moi un tic qui accompagnait les décisions graves –, puis je pris rapidement sur la gauche, côté où le bout de la rue était le plus proche.
J’avais besoin de me transporter au plus vite dans un lieu quelconque où je fusse inconnu, où je pusse m’arrêter pour contempler mon audace et converser avec moi-même en justifiant ma résolution. La harangue militaire, qui rassemble les vaillances avant le péril, se goûte aussi comme une ultime permission de tranquillité. L’entreprise que j’avais décidée était de celles qu’on ose loin des dieux lares. La distance même ne suffisait pas : il fallait ménager des haltes, comme au plongeur qui s’enfonce dans l’abîme.
C’est en prenant toujours les avenues les plus larges que j’ai marché rapidement, prêtant à ce qui m’environnait l’attention tout juste nécessaire à me faire jour parmi les hommes et les choses. C’est miracle que je n’aie pas bousculé dix personnes. En moi, c’était l’aboutissement d’un violent domptement de tous les renoncements faciles, un roide mépris des admonitions que j’imaginais celles de l’humanité toute entière horrifiée si l’on m’avait deviné. Je me sentais hors la loi. Je n’étais plus sous la protection des honnêtes citoyens. Je craignais que mon tumulte intérieur se payât d’un stigmate que des yeux initiés peuvent reconnaître. Si les gens avec lesquels on est en commerce dans la vie quotidienne étaient d’espèce à s’exciter aux égarements qui me poussaient à courir la prétentaine, si les tranquilles silhouettes de la rue familière étaient susceptibles des désordres dans lesquels je cherchais à me jeter, la société humaine, me semblait-il, ne pourrait se maintenir dans les habitudes paisibles, les mœurs régulières que je lui voyais autour de moi, ni ne saurait se satisfaire des maximes contempérées auxquelles elle fait honneur généralement.


* *
*

Bien sûr, on se demandera comment un garçon de quinze ans peut être au fait de certains lieux publics ou la turpitude va en marchandise. Dans la règle, la jeune génération sait tout avant l’âge où il est convenu qu’elle puisse savoir, mais, des sources dont elle tient cette information, elle apprend aussi, au grand soulagement des aînés, qu’elle doit feindre d’ignorer. S’agissant de moi, je ne suis pas capable de dire avec certitude d’où j’avais tiré le renseignement qui m’orientait ce jour-là. Ce pouvait être un méprisant ragot de lycée. Une allusion dans un livre tel que ceux de Rachilde ou les romans de Jean Lorrain, car je lisais discrètement cette sorte de littérature, que je juge aujourd’hui fabriquée et furieusement datée. Mais sans ces livres, à quoi il faut ajouter les auteurs de l’Antiquité chez lesquels il est tout naturel « qu’Achille aime autrement que Tircis et Philène » – dans un sens que Boileau n’a pas voulu –, j’aurais été bien désemparé. D’ailleurs, peu importe d’où je savais : je savais.
Et c’est conduit par cette inavouable science que j’ai quitté l’avenue de l’Opéra pour obliquer dans la rue des Pyramides, que je me suis retrouvé sur la petite place où Jeanne d’Arc chevauche, devant les hautes grilles du jardin des Tuileries, leurs piques dorées, leurs pilastres surmontés de vasques. Pour mettre un pas devant l’autre, je me persuadais que je n’étais venu que pour éclairer le pays, qu’il était probable que je n’aboutirai pas, que je pouvais changer d’avis à tout moment, que j’avais bien le droit de venir me promener innocemment le samedi après-midi. Plus jeune, quand j’allais au jardin des Tuileries avec mes parents, nous passions par la Madeleine, la rue Royale, et entrions par le grand portail de la place de la Concorde. Quelque chose m’a retenu de suivre ce chemin. Je me décidai pour l’entrée qui jouxte la station de métro “Tuileries”. J’ai commencé de marcher tranquillement, sous le couvert des arbres, pour faire un premier tour. Il y avait beaucoup de monde.
Dans “Le Malfaiteur” de Julien Green, le narrateur, qui porte évidemment parole pour l’auteur, hésite à s’attarder dans un petit square où, nous apprend-il, des gens de toute sorte venant s’asseoir, on voit des messieurs bavarder sans façon avec des hommes à casquette. À l’en croire, la cause de cette réunion suspecte lui a été révélée par l’effet de la sensibilité religieuse catholique qui est la sienne, laquelle flaire le mal avec un instinct infaillible. Un digne héros de Julien Green est toujours curieux d’enfer pourvu que les diablotins ne soient pas trop chèvre-pieds, aussi, comme bien l’on pense, ce jeune homme qui court les dessertes de l’abîme y trébuchera bientôt, avec le sentiment vertigineux d’être soi-même un théâtre du combat de la grâce aux prises avec les œuvres de ténèbres.
Quant à moi, je n’ai jamais eu pour le pain des forts que l’appétit irascible. Je fus élevé dans une famille qu’un organiste pouvait faire entrer dans une église, mais qu’un prédicateur en faisait sortir. Pourtant, sans avoir, moi, le nez fin par l’ordre de la grâce, si j’avais eu à entrer en rivalité avec M. Green au même âge, à qui de nous découvrirait le premier les parages où des musards que Dante promet au septième cercle de son enfer s’égarent dans leurs voies, j’aurais relevé le gant sans avoir le sentiment d’être désavantagé. Parmi l’emphatique niaiserie de nos dictons et proverbes, il s’en trouve quelques-uns qui, par exception, touchent à la transcendance, dont celui-ci : « La balle cherche le joueur. » Parce que j’étais venu chercher, j’ai trouvé sans même avoir à chercher vraiment. Et pour les esprits positifs qui ne se satisferaient que d’une explication décrochée de ces hauteurs, demeure dans tous les cas celle d’un célèbre aphorisme de Théodule Ribot : « On ne voit que ce qu’on regarde, et on ne regarde que ce qu’on a déjà dans l’esprit. »
C’est sur la terrasse du pavillon de l’Orangerie et ses environs que j’eus la révélation qu’il y avait là des promeneurs solitaires le nez en l’air mais l’œil au guet, des tête-à-tête socialement inassortis, petit monde sans femme qui n’avait jamais le moindre contact avec la foule des familles et des oisifs du dimanche dans laquelle il était pourtant pêle-mêle, et qui n’avait aucune raison de s’attarder en ces lieux, si ce n’est celle que j’avais moi-même d’y être venu.
D’abord, pour observer de loin sans me compromettre ni m’exposer à quelque danger méconnu, je montai sur la terrasse du Jeu de Paume, qui symétrise avec celle de l’Orangerie de l’autre côté de l’allée principale du jardin. Je m’étonnais qu’un manège qui me paraissait si évident pût durer ici sans scandale. C’est que je ne connaissais pas encore la formule de Ribot, et j’oubliais que j’avais des yeux préparés. Rebutante parade, jugeais-je, dépité, à mesure que s’en trahissait la chalandise à l’occasion des regards en biais et des déambulations pleines de tours et retours. Artificielles jeunesses hors de page, vilains pas beaux, vieux marcheurs, desquels je n’imaginais pas sans un haut-le-corps me laisser frôler. – On aura compris, je pense, que la déconvenue emportait de l’exagération. Sous mon œil, on était périmé dès que le semblant de l’adolescence était fané. Je n’étais évidemment digne que d’un pair, idéalement reflété dans la source où s’admirait Narcisse. Je n’y avais pas réfléchi : abordant l’amour grec, je m’attendais inconsciemment à tomber dans une éphébie. J’ai mis un bout de temps à discerner deux ou trois silhouettes qui, si l’éloignement ne me trompait pas, pussent m’amollir le cœur et avoir l’effet contraire autre part.

Mon premier mouvement, quand je me suis estimé suffisamment instruit de ce que j’étais venu chercher, fut de prendre le large, de sortir du jardin. Il me semblait qu’on ne pût pas ne pas me deviner à mon tour, et cela me faisait peur. Je me suis abandonné à la flâne et la baguenaude, sur les quais d’abord, puis parmi les étalages des marchands d’animaux et devant les vitrines des grands magasins. Je retardais le moment où j’allais devoir me prendre à quatre pour me ramener dans la lice, sauf à tout laisser tomber. Quel comportement garder, là-bas ? Je décidai d’acheter un livre. Rien de plus naturel que de venir lire par un beau soleil dans un jardin public. À un bouquiniste, j’achetai un roman. Un roman de je ne sais plus qui, quelque chose de passe-partout, un auteur dont on nous avait parlé en classe, peut-être Balzac, Flaubert ou Zola … Livre en main, je revins au jardin. Cette fois-ci, je ne craignis pas de passer par l’entrée principale, place de la Concorde, entre Mercure et la Renommée montant des chevaux ailés, deux divinités dont je ne pouvais attendre que de mauvais offices. Gagnant la partie du jardin diamétralement opposée à l’Orangerie, je me jetai sur une chaise de fer et commençai de lire. Aucune récollection ne me permet de retrouver un traître mot du texte ; en revanche, je me rappelle fort bien la couverture jaune, je revois l’arrangement typographique des ouvrages disponibles de la librairie Ollendorff, catalogués au dos.
Ah ! Pour le coup, on ne peut pas dire que je m’affichais. Mais à quoi bon des précautions qui empêchent le succès de ce que l’on entreprend ? L’heure avançait. Je pris conscience que rester là, absorbé dans une lecture, c’était tout simplement renoncer sans se l’avouer. Tout réservé que je désirais paraître, il fallait au moins laisser supposer à des yeux agréables que j’avais le bouquet sur l’oreille.
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Ocazou

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MessageSujet: Un peu plus … (deuxième message)   Apostrophe aux contemporains de ma mort Icon_minitimeSam 11 Juin 2011 - 19:04



Un garçon passa devant moi à plusieurs reprises. Je l’ai d’autant mieux remarqué que je l’avais déjà distingué parmi les esseulés qui faisaient leurs tours sur la terrasse de l’Orangerie en promenant une feinte innocence, et, qui plus est, il était du très petit nombre de ceux dont, ma foi, j’étais tenté de me faire approchable. Il ne semblait pas me prêter une attention particulière, mais, sans ma présence, ses allées et venues n’étaient pas explicables. Coiffé d’une casquette molle posée sur une épaisse tignasse ébouriffée, il portait un gilet de futaine sur une chemise blanche à très large col, une régate lâchement nouée, billebarrée de couleurs vives, et un pantalon à la marinière, qui sortait visiblement des mains de la blanchisseuse et de la repasseuse, ce qui se remarquait dans une pièce de vêtement d'un style aussi grossier et faite pour les bas travaux. Ainsi il s'était donné une dégaine artiste, évidemment voulue pour être celle de la bohème qu’Henri Murger et Aristide Bruant ont historiée. Nous étions trop avancés dans le siècle pour que cela fût sans beaucoup d’affectation. Maintenant que je le voyais de moins loin, je m’avisai qu’il n’était plus tout jeune : il avait bien … pfuf … dix-neuf ou vingt ans … peut-être même vingt-deux ! Je ne l’avais regardé que parce que je pensais qu’il ne se doutait pas que je le regardais. Je m’étais trompé. Il suspendit le pas, se tourna vers moi en pivotant sur un pied, et nos regards se confondirent. Mais non point tête pour tête : il me dévisageait expectativement, me marquant ainsi qu’il n’ignorait pas que j’avais la vue sur lui, et ce fut une seconde trop tard que je détachai les yeux de dessus sa personne pour me terrer dans mon livre. Comme lorsque j’étais sorti de chez moi, j’avais étourdiment donné du corps à ce que je voulais qui parût sans conséquence. Je lisais éperdument, sans oublier de tourner les pages. Je ne craignais rien tant que d’être abordé par lui sans autre préalable ; j’espérais que ma lecture acharnée l’en dissuaderait, du moins pour l’instant. En effet, peu après, un coup d’œil furtif m’apprit qu’il avait disparu. J’en profitai pour plier bagage et fuir du jardin par la grande sortie ouvrant sur la rue Paul-Déroulède, devant l’arc de triomphe du Carrousel, que j’estimais la plus proche issue avant laquelle je risquais le moins de me trouver nez à nez avec lui. Je pris à gauche vers la rue de Rivoli, que je traversai au coin du pavillon de Marsan, qui fait le bout du Louvre, puis je la longeai sous les arcades en direction de la Concorde, soulagé de me mêler à un flot de badauds et de touristes. Il me fallait gagner un endroit sûr et tranquille où je pusse me reprendre, un endroit où arrêter une tactique praticable sans transes. La Seine me parut une frontière secourable. Pour me transporter sur l’autre rive, je passai le pont de la Concorde. Devant les grilles de la Chambre des Députés, je dirigeai le pas vers le boulevard Saint-Germain. C’était l’amorce d’un abandon irrévocable. « Zut ! C’est trop bête. » Rebroussant lentement chemin, je délibérai courageusement de repasser le pont. Et de me débarrasser du livre, qui n’était qu’une échappatoire. J’étais capable de volonté, maintenant que j’étais loin. Je me rengageai sur le pont en suivant le trottoir de gauche, qui aboutit en bas des Champs-Élysées et non sur les Tuileries. Après quelques enjambées, je brandis le livre au-dessus du parapet, et je le projetai de côté vers le bas. Les becs des piles de ce pont sont arrondis et surmontés d’un tailloir, saillie que le livre heurta pour s’ouvrir comme les ailes d’un oiseau ; le vent de la chute le feuilleta jusqu’à ce qu’il eût touché l’eau. J’étais face à l’aval. J’ai regardé la petite tache claire dériver dans le fleuve sombre, tant que mon œil put la discerner. Je me remis en marche, prenant visée sur un but neutre, l’obélisque, évitant de porter la vue à ma droite, sur l’Orangerie et sa redoutée promenade, en contre-haut du quai, qui s’offraient au premier plan. Cette fois, je n’avais plus d’accessoire pour mettre en scène les dehors de la naïveté à mille lieues de ce qui se manigance à la ronde. J’entrai dans le jardin, non sans avoir fait le grand tour de la place de la Concorde, passant devant les chevaux de Marly, l’hôtel Crillon et le ministère de la Marine. Je m’assis à une table de buvette, d’où j’avais en spectacle la terrasse de l’Orangerie. Je commandai une limonade. Sans doute, si l’on s’intéressait à moi, on pouvait remarquer que j’étais seul, et un peu trop curieux de cette terrasse, d’autant que les tables voisines étaient occupées par des groupes de pères, de mères et de bonnes qui jetaient plutôt les yeux sur le bassin, autour duquel une cohue d’enfants faisait voguer des bateaux.
Dans mon dos, soudain il y eut une voix, qui s’adressait à moi avec un accent anglais très prononcé : « Pour toi le livre fini ? » Je me retournai. C’était le garçon de tout à l’heure. Je ne l’avais pas vu arriver. Il tenait les deux mains paumes ouvertes devant les yeux, et les regardait en mimant une lecture. Puis il les referma vivement à plat l’une contre l’autre dans un petit claquement. Il me sourit, puis disparut. Alors, je vidai mon verre. Ce fut, bien sûr, l’effet du sentiment que l’instant était venu de faire quelque chose. Mais quoi ? Allais-je, effarouché de cet abordage, prendre le large et quitter définitivement la partie ? Ou si je devais me décider à me remettre sur les voies de ce garçon ? – de forlonge, bien entendu, et sans avoir l’air d’y toucher. J’étais à ce point flottant qu’après m’être levé résolument, je suis retombé sur ma chaise.
Restait que l’approche de ce jeune homme me paraissait moins à craindre, maintenant qu’il m’avait parlé.
Je n’ai pas pris de nouvelle consommation, en sorte de pouvoir réagir tout d’une suite, sans le temps de peser le contre, à un coup de tête bienvenu. Et peut-être aussi pour me punir un peu. Enfin, à certain moment, mon attention fut attirée sur une famille à quelques tables de la mienne, car l’unisson babillard d’une conversation soutenue, dont j’entendais la jaserie sans en saisir les mots, y fut brusquement interrompu par une exclamation. C’était, parmi eux, un monsieur à barbiche qui, de sa canne haut levée, montrait les lointains vers la place de la Concorde et l’Arc de Triomphe, c’est-à-dire vers l’ouest, en se livrant à un commentaire dont je percevais le ton de contrariété quoique je ne fusse pas assez près pour en comprendre les paroles. Comme il est naturel, je portai les yeux dans la direction désignée. Je vis alors qu’à grande distance le ciel était occupé dans toute sa largeur par une mer de nuages livides qui le remplissait à perte de vue, sous lesquels un trouble de l’atmosphère donnait indice qu’il pleuvait. Cette immense nuée qui montait de l’horizon ne pouvait que venir couvrir Paris. Nous allions avoir de l’orage.
Ma pensée fut d’abord que mon escapade tournerait court. C’était un soulagement de la tension que j’entretenais pour me pousser à courir au but, et je n’étais pas trop mal disposé à en profiter lâchement ; cependant, je me dépitais à l’idée que mes préparatifs, ainsi que ce que me coûtait la détermination à laquelle je me contraignais, auraient été vains. Il y a dans une première fois un dieu qui nous conduit et qui nous a sous sa garde. Je ressentais que s’il fallait recommencer, ce serait sans lui. Ma seconde pensée se plut à deviner dans cet orage une circonstance propice à brusquer un heureux dénouement. Puisque le temps pressait, peut-être l’un des peu nombreux jeunes gens avec lesquels j’étais disposé à engager la conversation allait-il payer d’audace. Bien sûr, de mon côté, je ne me montrais guère aidant, et je m’en rendais bien compte. Mais quand on débute et qu’on ne sait pas les règles, il faut qu’un partenaire tienne le jeu. Cela dit, si je restais où je me trouvais, assis au milieu des familles, il n’arriverait rien, c’était évident. Je me levai, et j’allai me rasseoir sur une chaise, non point en place marchande, mais sous la vue de ceux qui y croisaient, à savoir face à la terrasse de l’Orangerie, au pied d’un arbre de la plus proche rangée. Là, me semblait-il, on pouvait assez soupçonner que je n’étais pas indifférent au jeu couvert auquel on s’adonnait dans les alentours, et, tout à la fois, je demeurais suffisamment en retrait pour avoir le front de faire le niais de Sologne si j’étais entrepris par un déplaisant. Bien entendu, l’heure tournait sans que rien se produisît. Certes, il y eut des lorgnades de la part de promeneurs faussement détachés, surtout ceux qui arpentaient régulièrement la terrasse, mais à ce point furtives qu’elles me laissaient assuré que leurs auteurs n’oseraient jamais le premier pas. Il fallait trouver autre chose.
Quelques nuages avant-coureurs s’étant portés devant le soleil, le jour s’assombrit d’un coup, comme si l’on avait actionné la manette d’un luminaire. L’air fraîchit. Il y eut du frisson dans les arbres. Je n’avais aucun vêtement contre la pluie ni contre le froid ; il est vrai que j’en aurais été bien encombré tant qu’il faisait beau. Il allait falloir me mettre à l’abri.
Je n’avais pas ma pèlerine pour m’y retrancher contre l’eau du ciel ! Mais je ne l’eusse pas endossée ici sans un malaise. Ho ! Certes non ! Même si j’avais tenu pour certain qu’il allait pleuvoir, je n’aurais pas voulu emporter ma pèlerine, avec laquelle, me mirant dans la psyché du salon, je me regardais sous les espèces d’un jeune garçon comme ils sont dessinés dans les livres d’images, ou sur les illustrations des histoires d’enfants sages qu’on nous faisait lire à l’école. Il n’était plus guère possible que je me visse ainsi, désormais. Et il est vrai aussi que, depuis cette année, je la sentais un peu trop juste pour ma carrure. Mais je la conserverai précieusement ; en une journée, elle était devenue presque un souvenir.
En cas de mauvais temps, j’avais cette pèlerine couleur ardoise, dont le capuchon se serrait autour du visage au moyen d’un lacet à nouer sous le menton. Je me rendis compte combien j’aurais été gêné, comme honteux, de la traîner ici. En ce jour n’était supportable sur moi que du nouveau, de l’impersonnel ; rien qui eût accompagné mon enfance. Ma pèlerine n’était pas du tissu léger d’un imperméable moderne, mais de toile épaisse, un peu onctueuse au toucher, comme une toile cirée. Je m’en rappelle vaguement l’achat, par un détail bizarre : je fus frappé d’une épithète la qualifiant dans la notice d’entretien remise à ma mère avec le paquet. La pèlerine n’y était pas dite imperméable, mais « imbrifuge ». Et parce que de cette cape mystérieusement dénommée j’étais précautionné dans mes courses les plus aventureuses, l’adjectif, rencontré nulle part ailleurs, qui avait la vertu de me tenir au sec au milieu des éléments déchaînés, était devenu le maître-mot d’une superstition, par jeu d’abord, puis, par l’opération de la suggestion et par délectation à se créer des mondes intérieurs, avec une confiance dans les effets qui passait le jeu. C’était un terme sacramentel. Il féait la pèlerine, et seulement parce qu’elle était mienne, parce qu’il était invoqué par moi, parce que c’est moi qu’elle devait couvrir, de même que l’épée fichée dans l’enclume n’avait été faite prodigieuse que pour laisser le jeune Arthur seul l’en retirer. Ce tétrasyllabe magique avait pouvoir non seulement de me tenir hors d’insulte au milieu des météores, mais encore de me sauvegarder de bien d’autres dangers de la nature, comme celui d’entreprendre une escalade audacieuse, ou d’entrer la nuit dans une forêt mal layée.
Heureusement pour ma sécurité, ce pouvoir tutélaire ne m’a pas poussé à braver inconsidérément les lois de la physique ; quand il me déterminait, il se confondait avec un auxiliaire utile tout au plus à vaincre les appréhensions qu’un esprit rationnel peut imputer à la crainte de l’inconnu, à la poltronnerie, à la paresse, à la répugnance pour l’incommodité.
Je me revois, enveloppé dans ma pèlerine imbrifuge, au bord de la mer un jour de tempête, assis sur des rochers, contemplant l’océan démonté. Fasciné d’une intimité avec le gros temps, je m’étais aventuré au plus près, sur un éboulis colossal qui formait un promontoire s’opposant au flot furieux. Des vagues qui, à l’approche, montaient plus haut que ma tête, et dont le refrein seul eût suffi à m’emporter, venaient s’y déchirer dans un tonnerre nombreux fait de l’engouffrement de l’eau forçant le passage entre les blocs, et du fracassement des lames, qui éclataient en des jaillissements verticaux de paquets de mer déchiquetés, pour retomber en m’inondant abondamment. Les yeux me piquaient ; après chaque flaquée, je me les essuyais du dos de la main, et je m’essorais les sourcils en y passant le doigt. Je suis resté là une éternité, assis en tailleur en sorte que ma pèlerine me protégeât aussi les jambes et les pieds, ce qui n’empêchait pas que dans le creux où je m’étais calé je subissais un bain de siège. Diluvié, assourdi, captivé, je m’attachais à chaque vague de sa naissance à son chaos. Je devinais dans le lointain le gonflement précurseur ; je guettais l’apparition de la houppée – laquelle d’abord virevolte sur le dos de la vague comme par difficulté de se maintenir sur la crête, puis devient la crête même –; je m’effrayais un instant que ce pût être une de ces lames de fond imprévisibles et formidables qui noient des gens certainement moins exposés que je ne l’étais ; toutes mes facultés tendaient ensemble à m’exalter l’âme en même temps que s’édifiait la muraille liquide qui déferlait vers moi ; je me sentais bien peu de chose quand elle était proche, mais le cataclysme final qui me cernait et l’anéantissait était mon apothéose.
Il a fallu que le jusant éloignât la tempête pour que je revinsse aux réalités ordinaires de la vie. Je me rappelle seulement qu’il était tard quand je partis.
Une autre fois – revêtu toujours de ma pèlerine – j’étais sous la pluie d’abat d’un orage torrentiel, au déclin du jour. C’était dans un pré entre la lisière d’un bois et une haie vive qui longeait une petite route. Un éclair n’attendait pas l’autre. Tête jetée en arrière, je buvais à la régalade les célestes cataractes. De l’eau m’entrait dans les narines.
La nature, qu’un plafond de gros nuages noirs recouvrait et dont les lointains s’effaçaient derrière le flou d’un rideau de pluie, tout cela ressortant à la faveur d’incessantes fulgurations, paraissait un décor de théâtre qui représente la nature. La forêt, sourcilleuse masse de nuit impénétrable, s’éclairait comme de l’intérieur sous la foudre éblouissante, ainsi qu’un praticable d’opéra par un enflammement de lycopode. Les troncs proches et leurs ombres, uniment obscurs, devenaient une herse multipliée protégeant l’illumination cérémonielle d’effroyables mystères némoraux.
J’ai encore dans l’œil comment les fourrés qui garnissaient l’orée du bois frissonnaient dans la tourmente ; quand un coup de vent les brassait, le bruit de l’averse s’augmentait d’un froissis de feuilles et d’un craquètement de ramilles tiraillées, tandis que de bout en bout courait une traînée d’un vert plus tendre, parce que le feuillage troussé montrait un instant son dessous.
Je revois une graminée, sur quoi mon regard s’était songeusement abandonné, tituber si une goutte frappait l’épi qui la sommait, puis se redresser sitôt déchargée par une larme qui dévalait la tige.
Je puis compter les rondins fendus en deux qui formaient les marches de l’échalier au moyen de quoi j’avais franchi la haie : il y en avait trois … non : quatre.
Il me souvient que la rosette d’un lacet de mes souliers, s’accrochant je ne sais plus à quoi, se défit. Je dus m’accroupir, un genou à terre, pour la renouer. Par cette circonstance, je revois mes chaussures. C’étaient des godillots de cuir à soufflet, qui se fermaient en laçant non des œillets, mais des crochets plats dont la rivure me blessait le dessus du pied si je serrais trop.
Des moments où je me suis trouvé face à cette mer tempêtueuse, ou dans l’ouragan qui battait cette prairie, je me rappelle, comme on le voit, force détails, la plupart infimes. Sans doute, les heures que j’ai vécu là seraient une durée trop courte pour en épuiser le souvenir par la parole. Pourtant, je suis incapable de rapporter ce qui m’avait amené jusqu’à cette grève, non moins que dans ce pré. Je ne saurais dire ce que j’avais fait auparavant. Je n’ai pas la plus petite idée de ce qui s’est passé ensuite.
Ainsi, certains instants détachés, certains lieux où nous ne fîmes que toucher barre, mais où nous fûmes dépaysés ou saisis par des impressions inordinaires, nous laissent un souvenir d’une exactitude et d’une ténacité que n’atteint pas celui d’une rue que nous prenions tous les jours. Des inconnus avec qui nous n’échangeâmes que quelques reparties, mais bizarres, angoissantes, violentes, ont gravé leurs mots dans notre mémoire, alors que nous ne pourrions rapporter fidèlement aucun propos des proches avec qui nous conversions d’habitude. Et si les gens que nous avons fréquentés quotidiennement ont prononcé des paroles que nous pouvons redire avec précision, rendons-nous compte que c’est à l’occasion de situations où ils étaient sortis de leur rôle ou de leur caractère. Mais une expérience d’un seul genre intronise dans notre pensée les souvenirs minutieux dont les interprétations par nous-mêmes se substitueront à ce que nous croyions auparavant savoir de notre personnalité, et dont la présence perpétuelle aura force : c’est quand, libres de faire ou de ne pas faire, démunis – car la possession d’un moyen est une instigation parce qu’elle suggère l’emploi du moyen –, désaccointés des conseilleurs et des jugeurs, nous sommes intrus dans des circonstances étranges pleines de danger latent, mais sans hostilité qui impose une stratégie, inépuisables de possibilités, mais sans repères pour s’en saisir, stimulatrices de l’enthousiasme à s’accomplir par soi sans devoir en même temps jalonner vers un but assigné ; circonstances au milieu desquelles nous ne pouvons trouver qu’en nous nos motifs et nos déterminations fondamentaux – que ni le ministère de la raison ni l’incitation de l’utilité ne peuvent révéler –, à la faveur de quoi il est un familier que nous découvrons à neuf et qui nous fait rentrer sous sa loi nouvelle : nous-mêmes.

* *
*

Une bourrasque, préludant à l’ondée, apporta une volée de premières grosses gouttes dispersées qui s’écrasaient dans la poussière. L’eau du bassin en était cannelée, autour duquel de jeunes armateurs accouraient du côté où le coup de chien drossait leurs navires. Des téméraires, sous l’œil inquiet des mères, se penchaient au-dessus du mince abysse pour sauveter leurs voiliers chavirés. À côté d’eux, le loueur, pressé d’en finir, saisissait les bateaux sitôt levés du flot pour les enficher par la quille sur sa charrette à bras hérissée de mats. Des familles séparées s’entr’appelaient. On encapuchonnait des enfants. On ouvrait les parapluies. On jetait des imperméables sur les poussettes, on remontait les capotes des landaus.
Tout à coup, le front de pluie s’abattit sur le jardin. S’éleva un murmure de feuilles battues par les gouttes et de ruissellement. On s’abritait en hâte sous les bannes des buvettes, sous les parasols, ou au couvert des arbres. Certains s’adossaient contre le fond des cagnards de décharge pratiqués dans le mur de soutènement des terrasses. Beaucoup, abandonnant la partie, faisaient force de rames par petits groupes vers la place de la Concorde ou la rue de Rivoli.
Je ne me suis pas mis à l’abri de la pluie, moi. J’ai monté sur la terrasse de l’Orangerie. Cela ne me faisait plus peur, maintenant que tout le monde l’avait désertée ! Et là, bien loin de chercher à me protéger, je me suis tenu debout, bien droit, face au jardin, mains appuyées sur la tablette de la balustrade. L’eau m’inondait la tête, me coulait dans le cou, mon pantalon devenait collant. Je n’étais plus un petit garçon, et j’étais même au-dessus de tous ces gens qui courent vers un refuge dès qu’un peu d’eau les mouille. Heureusement, le dandysme a besoin d’un public. Or tout le monde prenait la poudre d’escampette. Avant d’être trempé comme une soupe, je m’inquiétai de gagner le sec. Je me mis à marcher vers l’Orangerie.

* *
*

L’arrière du pavillon de l’Orangerie est presque entièrement constitué d’une monumentale porte de bois, de chaque côté de laquelle un piédestal haut comme un homme soutient une couple de colonnes géminées. Le renfoncement ménagé par la baie de cette grande porte est suffisant pour garantir tant bien que mal de la pluie. Il y avait là une famille égarée parmi quelques messieurs affectant l’air contrarié du passant qui, surpris par le mauvais temps, s’est réfugié au hasard, et n’est impatient que de la fin de l’orage. Entre ces solitaires, personne n’aurait pu soupçonner une latente complicité, sauf à remarquer subtilement qu’ils s’appliquaient à ne pas s’adresser la parole. Je les rejoignis. La mère de famille me décocha un regard, bref mais intense, que je ne voulus pas me soucier d’interpréter, mais ensuite duquel je me suis gardé de croiser de nouveau ce regard. Les autres semblaient ne pas me porter plus d’attention que celle qui est nécessaire à prévenir l’effet de la loi physique qui interdit à deux corps matériels d’occuper ensemble la même place. Je me mis à considérer distraitement les lointains, comme tout le monde. Pour me donner une contenance, je faisais quelques pas, je regardais par-ci par-là.
Soudain, en levant haut les yeux, j’aperçus mon Anglais. Monté sur l’un des piédestaux, il était assis à croupetons entre les colonnes jumelles, bord des fesses reposant sur les bosels. Il souriait vaguement, et me lorgnait à la dérobée. Son bras gauche entourait un fût, laissant pendre la main, comme on fait autour des épaules d’une personne chérie.
Je me consultais. Comment ne pas le décourager de poursuivre les travaux d’approche, en le laissant cependant faire seul tout le chemin ? La conscience de mon inexpérience, la crainte d’un impair qui fît tout manquer, me rendaient trop appréhensif pour faire des ouvertures, et même pour ménager des occasions ostensibles de m’aborder. Je me persuadai de plus qu’il était de ma dignité de ne point avoir l’air trop hardi à la proie. C’étaient là, complaisamment fondés en raison, de beaux motifs de réserve circonspecte. En vérité, il me faut reconnaître que je ressentais du danger. Oui, j’avais peur, non de ne pas aboutir, mais des gens alentour, dont les regards pouvaient nous deviner. Ainsi qu’un malfaiteur sur le qui-vive, j’avais l’impression d’être le centre d’intérêt obligé d’improbateurs soupçonneux. Il faut comprendre que jusqu’à ce jour nul scandale ébruité, nulle conversation surprise, nulle confession glissée à mon oreille, nul repère en un mot, ne me permettait d’estimer jusqu’à quel point l’animadversion qui s’attache à ce qui nous retenait lui et moi non loin l’un de l’autre pouvait exciter la dénonciation ou l’insulte. Notre petit manège n’étalait-il pas, aux yeux de spectateurs indignés en leur for intérieur, la préméditation d’un crime justifiant un esclandre, voire l’intervention de la police ? D’autant que j’étais mineur, et visiblement. Je n’imaginais pas sans sueurs froides un retour chez moi entre deux gendarmes, et les explications qui s’ensuivraient.
Tout à coup, je remarquai que sa main droite s’était mise à faire un geste nonchalant et répété à la base d’une colonne.
D’un index abandonné à un va-et-vient langoureux, il caressait la gorge de la scotie en une rêverie salace.
J’en fus jeté dans un violent trouble physique. Cloué sur place, vidé des ressources qui nous permettent de réagir à ce qui nous environne, j’étais tout entier pris par cette vision, sans même me garder, je crois bien, d’un air de fascination stupide. Une bouffée de chaleur m’avait envahi. Je ne restais debout que parce que je n’avais pas où m’assoir. C’était comme si j’avais bu d’un trait un verre d’alcool fort. M’aurait-on parlé, que je n’aurais pas répondu. L’invite était insoutenable.
Pour expliquer le mascaret d’émotion que cette chirologie, somme toute très interprétée, avait soulevé, il faut comprendre que c’est moins le geste et son auteur qui en faisaient la force, que ce que la sollicitation avait remué en moi, qui étais venu là, ce jour-là, et pour ça.
Que se passa-t-il dans le moment suivant ? Je n’en garde aucune mémoire ; à mon avis, je n’en eus jamais la conscience. Il est à croire que j’ai sauté le pas, ou, du moins, que je me suis livré à un comportement un peu confus en lequel l’Anglais pouvait reconnaître le désir manifesté qu’on m’y aidât. Et si je ne m’en rappelle rien, c’est parce que ce ne fut possible qu’à la condition que mon penser m’oubliât un instant.
Toujours est-il que lorsque je revins à moi – s’il est permis de comparer cette lacune à un évanouissement –, il avait déjuché de son piédestal. Nous étions debout l’un à côté de l’autre. Il frottait du plat de la main ses vêtements aux endroits salis par le contact avec la pierre. Il me souriait. Nous parlions, ou plutôt, il parlait.
La pluie avait cessé sans que je m’en fusse rendu compte. Le temps était revenu au beau, si ce n’est que l’air restait frais. Tout le monde avait fui le dessous des arbres, dont le feuillage dégouttait. Sur la terre graveleuse damée qui fait le sol du jardin, deci delà quelques petites flaques. De rares promeneurs se rasseyaient sur les bancs, sur les chaises, après avoir essuyé avec un mouchoir la place où ils se posaient.
Il parlait fort mal le français, et ne possédait de notre langue qu’un court vocabulaire de manuel de conversation pour touriste. Néanmoins, des trouvailles hardies dans l’usage continuel de la circonlocution, l’emploi des quelques mots anglais que tout un chacun connaît, ainsi qu’un joli jeu de mimiques expressives, rendaient ses propos compréhensibles, et même pourvus d’agrément. Il se montrait enjoué et aussi un peu gamin. Il ne rechignait pas, malgré sa difficulté de langue, à tenir quasi seul le dé de la conversation : il avait senti qu’il fallait me mettre à l’aise. Ce rôle semblait ne pas lui déplaire. Je l’en remercie. Je constatai avec soulagement que vaine était ma crainte d’avoir à franchir certains mots. Quand les choses ne peuvent pas être autres que ce qu’elles sont, quel besoin de dire le mot et la chose, je vous le demande ?
Il parla d’abord de lui. Il n’était pas vraiment Anglais, il était Irlandais. Il me dit son petit nom : Brian, ou peut-être Ryan ou Bram, je ne suis plus sûr. Il était étudiant à Cork. Je ne sais plus bien s’il faisait de l’histoire, de la littérature ou de la philosophie ; en tout cas, c’était quelque chose comme cela.

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MessageSujet: Un peu plus (troisième message)   Apostrophe aux contemporains de ma mort Icon_minitimeSam 11 Juin 2011 - 19:05



Il me souvient que le cœur me battait, que je craignais que cela se vît, et je pense maintenant que cela se voyait en effet. Je ne me rappelle pas notre marche vers la bouche de métro. Je ne me rappelle pas avoir descendu l’escalier. Je ne me rappelle pas si la rame vint vite, ou si nous attendîmes sur le quai. Je ne me rappelle pas si le wagon était vide ou si nous coudoyions une foule. Je ne me rappelle pas s’il parlait d’abondance ou s’il était silencieux. Je ne me rappelle pas si le trajet fut bref ou si nous parcourûmes presque une ligne, ni si nous enfilâmes des couloirs de correspondance. Il me souvient que ce fut un voyage hors du temps ; une succession de possibles terminus, redoutés et vertigineusement attendus, qui restent dans ma mémoire comme des bouffées d’angoisse alternant avec les sursis que m’accordaient les tunnels. Je ne me rappelle pas qu’il m’ait dit qu’il fallût descendre. Je ne me rappelle pas la station. Je ne me rappelle pas avoir retrouvé la lumière du jour. Je ne me rappelle rien des rues que nous avons prises. Je me rappelle que j’eus l’idée de lui fausser compagnie. Et pourtant !
Nous nous immobilisâmes devant une porte que je n’oublierai jamais. C’était une porte de bois pleine, peinte en vert, étroite et lourde, qui se fermait par une serrure bénarde et un loquet. Plus épaisse en bas qu’en haut, elle présentait à mi-hauteur un ressaut, ce qui la faisait ressembler aux portes à hec des cours de ferme. La maison n’avait que quelques étages et ne payait pas de mine, non plus que les façades alentour, entrecoupées de murs fardants et délabrés qui emprisonnaient des courettes ou des jardinets. La rue, toute resserrée, était pavée. C’était une ambiance de chats qui détalent, de linge aux fenêtres et de pots de géraniums. Tout respirait la province secrète que certains quartiers de la capitale cachent au fond des ruelles ou derrière les grands immeubles.
Il tira de sa poche une grosse clef. La serrure était dure, il pesa des deux mains pour la faire jouer. C’est alors qu’au lieu d’ouvrir la porte en m’invitant à le suivre, il se tourna vers moi et m’adressa d’un ton neutre quelques mots que je ne compris pas bien, mais auxquels je devinai que je ne pouvais pas entrer tout de suite. Il poussa la porte juste ce qu’il fallait pour se faufiler, entra, et la repoussa contre. Au passage, il avait repris la clef.
Il n’aurait pas dû me laisser en plant. Parvenu, sans motif avouable d’y être, sans que quiconque s’inquiétât de moi pût conjecturer que j’y étais, en ces lieux situés nulle part, dans cette petite rue vide qui n’avait pas de nom, devant cet huis étrange qui donnait sur des arrières indevinables, et abandonné à moi-même, je ressentis les premières atteintes d’une angoisse nouvelle. Était-il donc bien assuré, ce soi-disant Irlandais dont je ne savais rien et qui ne savait rien de moi, que je n’allais pas prendre mes jambes à mon cou ? Parce que que je ne pouvais plus fuir, c’est cela ! Parce qu’on m’empêcherait de m’échapper ? Ne m’étais-je pas jeté la tête la première dans un traquenard ? Les disparitions définitives, les viols sauvages dont un égorgement est le coup de grâce, les cadavres mutilés découverts dans les chambres d’hôtel, les corps déchiquetés par les trains, les malles sanglantes, les troncs sans tête remontés du fond des étangs, les bains d’acide sulfurique, les os carbonisés fourgonnés dans les cendriers des chaudières, tout cela, tous ces crimes à faire dresser les cheveux sur la tête, et qui, jour après jour, fournissent les titres des journaux du soir, il fallait bien qu’il y eût des gens, des lieux et des mobiles pour en créer les circonstances. Ce ne pouvait pas être la vie ordinaire telle que je l’imaginais, les endroits que je fréquentais, les personnes avec qui j’avais à faire d’habitude. En revanche, quel meilleur terrain de chasse pour les criminels pervers, que le lieu de turpes accordailles en conclusion desquelles on marche aux flûtes d’un inconnu pour aller honteusement là où personne au monde ne peut savoir qu’on va ? Les parages de ces rencontres clandestines ne peuvent être que des viviers de squales ! Je commençais à ressentir une belle venette. Allons, je n’étais plus un enfant ; il n’était pas question de tout compromettre par des peurs puériles. Rien jusqu’alors ne trahissait que l’Irlandais ne jouât pas franc jeu, n’est-ce pas ? Gros naïf !, m’objectai-je aussitôt, les scélérats ont d’abord pour souci d’empêcher que leurs proies s’alarment. Tu n’es qu’un simplet à qui n’importe qui ferait gober l’hameçon. Te laisserait-on attendre comme cela, seul dehors, s’il n’y avait pas des apprêts secrets à machiner dedans ? Surtout rester calme, garder la tête froide. Je me donnais un mal de Diable pour battre le rappel de tous les éléments d’appréciation permettant d’analyser la situation rationnellement – ce genre de verbiage était en faveur dans mes délibérations intérieures depuis que j’étais un grand garçon. Jouer de jambes pendant qu’il en est encore temps ? Me tenant sur mon fier tout en tremblant, je réclamais, pour la capitulation et le sauve-qui-peut, l’indice objectif du piège. Pouvais-je ne pas le supposer sans cesse puisque je contre-imaginais dès que j’imaginais, et que, par conséquent, le résultat d’un examen des faits n’était que l’enjeu d’un combat qui se livrait en moi ? Mes efforts pour motiver ma gouverne par une clairvoyance d’emprunt eurent pour effet de m’amener à me servir à moi-même les arguments de l’effroi – censément passés au crible d’une critique objective – sous la forme qui, dans mon esprit novice et apeuré, marquait le plus abruptement la différence entre une jeune tête à l’évent et l’expérience consommée de la vie : la mise en garde déclamatoire tombant d’une bouche préceptorale. Ainsi, je n’étais qu’un petit écervelé qui, pour jouer les affranchis, avait débarqué au beau milieu d’une société interlope dont il ne connaissait ni les règles ni les dangers, ramassis de gens qui viennent on ne sait d’où, qui se côtoient dans une mutuelle défiance, acoquinés brièvement pour lâcher la bride à des ignominies que les honnêtes gens ont en abomination ; et là, précisément où la pire racaille peut frayer sans être inquiétée, j’emboîte le pas au premier venu sur sa bonne mine, sans plus de précaution que si nous eussions été présentés dans un salon !
Figurez-vous un exécuteur des hautes œuvres qui s’apprête à supplicier un forcené imprévisible au milieu d’une populace gouailleuse, féroce et versatile. La foule communie avec la mise à mort tant que l’apparat de la cérémonie se déroule avec une perfection réglée imposant que l’immolation compète à une nécessité supérieure qui dessaisit les consciences humaines. Survienne un incident, une défaillance de la sinistre machine, une rébellion du condamné contraignant les valets à lui faire violence, et la foule décharmée voit désormais le honteux du spectacle, dont elle-même : des gens qui font métier de tuer houspillent un malheureux entravé, pour lui couper le cou au plus vite. Elle allait s’en repaître. Un murmure, des sifflets, un tollé, des poings levés, l’émeute !
Quant à moi, tous les acteurs d’un tel sacrifice étaient réunis en ma personne. J’étais ce bourreau : comme lui, je devais mener l’affaire à son terme fatidique, quel qu’il fût, le plus coulamment possible. J’étais la victime, bien entendu, car je ne pouvais sortir de là que mort ou transformé. Mon piquet solitaire devant cette porte muette, dans cet étroit désert, fut l’incident qui rompit l’enchantement. L’hystérie fantasque de la foule enfiévrée, c’était mon propre tumulte, dans lequel je me noyais, qui débordait d’autant plus que je m’évertuais à endiguer la peur à l’aide d’une espiègle adversaire des transes qui ne dresse un étai que sur une sape : la raison raisonnante du raisonneur qui force nature. Et le coup fatal vers quoi tout précipitait, c’était quelque chose de définitif, quelque chose comme une grande poussée, quelque chose qui allait mettre fin à beaucoup d’autres ou à tout, quelque chose qui devait se passer dans cette maison surgie des “Mystères de Paris”, mon esprit n’étant plus qu’un brouillard saturé d’effroi, où se confondaient l’objet maintenant maudit de ma venue et l’afflux de soupçons à glacer le sang.
Dans les contes comme dans les mauvais rêves, il y a des terres d’angoisse circonduites de brumes et de sortilèges intraversables, épouvantables séjours maléfiques, où l’on est guetté, où l’on n’échappe à une gueule qu’en se jetant sous une griffe, d’où toute fuite offerte n’est que ruse de cacodémon pour vous plonger dans une affre nouvelle, à travers les sous-bois aux branches vivantes qui vous fouettent, vous accrochent et vous rattrapent, au milieu des marais stygiens dont les miasmes allument pour feux follets des yeux de monstres, parmi les sables mouvants qui engloutissent comme on digère.
J’avais la bouche sèche, la gorge nouée ; je sentais les battements de mon cœur, le serrement de mes entrailles. La pensée de ce qu’une bande de sadiques pouvaient me faire subir me fit venir la chair de poule. Une mauvaise sueur m’agaçait l’œil. Je tournai la tête à droite. À quelques mètres, la ruelle faisait un coude qui empêchait de voir au-delà. C’était disposé pour dérober à mon regard un apostement de complices qui me barreront la route. Je tournai la tête à gauche. La ruelle continuait droit jusqu’à une cour entourée de petits immeubles d’habitation en brique. S’y trouvait une charrette sur sa chambrière, des tonneaux. Je n’apercevais pas âme qui vive. Détaler à toutes jambes pour chercher le salut de ce côté ? On jaillira d’une porte où d’une fenêtre, on escaladera un muret. Un sac m’enfermera, m’étouffera. Et si j’échappe, sera-ce pour découvrir là-bas une issue, un secours ? C’est là-bas qu’on m’attend vraiment. Ne laisse-t-on pas les coudées franches à certains criminels, parce qu’ils nettoient la société de certains infâmes, desquels je m’étais fait, comme on laisse sanitairement les vautours planer sur la charogne ?
Cependant que pétrifié par la peur et l’indécision j’imaginais un sort pire que la mort, la porte s’entrebâilla. Mon cœur bondit dans ma poitrine. Qu’on pardonne un détail bas : c’est miracle que j’aie pu retenir mon urine. Une main parut, m’appelant du geste ; puis la tête de l’Irlandais, un index sur les lèvres pour m’engager au silence et à la circonspection. Mécaniquement, je me mis en branle. Pour pousser la porte, j’ouvris la main : un morceau de carton roulotté et mouillé de sueur, qui avait été un ticket de métro, collait à la paume. Je passai le seuil. Je ramenai la porte sur moi en accompagnant d’un doigt tremblant la chute de la clenche dans le mentonnet pour éviter tout bruit.
Je me suis retrouvé dans un vestibule en forme de couloir, au fond duquel un escalier montait dans les étages. À droite, une double porte vitrée s’ouvrait dans un salon évidemment agencé pour la montre plutôt que pour accueillir des hôtes. On y voyait une grande cheminée à l’âtre propre comme un sou neuf où pyramidaient des bûches bien époussetées ; il n’y avait pas à penser que la garniture de foyer qui brillait de tous ses cuivres connût jamais la flamme. Autour d’une table basse présentant l’éventail, trop arrangé dans son chevauchement, des derniers numéros de l’Illustration et de la Revue des Deux-Mondes, quatre fauteuils de cuir havane, bas, profonds et mous, comme on en voit dans les cercles. Une vitrine sollicitait l’œil par l’éclat versicolore de ses pièces de cristal : vases à fleurs, animaux bondissants, bergères à houlette, qui n’étaient pas tous du meilleur goût. Sur un guéridon, des figurines de porcelaine miniaturant les petits métiers de la rue faisaient une ronde. Ici et là, des vases avec des bouquets secs, posés sur des napperons. Au mur, une tenture représentait une chasse à la sagaie en Afrique. C’était sans unité, trop chargé comme une devanture de marchand de meubles, et je ne pense pas qu’en une telle salle de séjour on se donnât aucunes aises sans renverser quelque chose. À côté de la porte, sur le parquet brillamment ciré, des patins de feutre rappelaient les intrus à leurs obligations. La maîtresse de céans, ressentait-on, réclamait contre la piètrerie du quartier, et entendait que cela se remarquât.
D’où j’étais, le coup d’œil ne me permettait pas de tout embrasser de cette pièce. Il existait évidemment à cet intérieur un accès moins incérémonieux que l’entrée de service par laquelle on m’avait fait me glisser. À ma gauche, deux portes, fermées, ne laissaient pas deviner où elles répondaient. Seul mobilier du vestibule, un porte-parapluies et une console gris Trianon sur laquelle il y avait un casier à compartiments contenant quelques enveloppes postales. Une série de chromos reproduisant des vues de Paris décoraient les murs. Des clefs pendaient à un alignement de clous à crochet numérotés. Sur un faux parchemin précieusement encadré, deux vers de mirliton en lettres gothiques embarrassées dans leur cadelure demandaient qu’après neuf heures du soir il n’y ait plus de bruit, pour qu’on se laisse aller « aux pavots de Morphée sous l’aile de la Nuit ». Tout était net de la moindre poussière, encaustiqué, passé au tripoli ; vraiment, il y avait là quelqu’un qu’on devait faire rougir de plaisir en déclarant que « dans cette maison, l’on pourrait manger par terre. »
L’aménagement participait de celui d’un hôtel ; pourtant, il semblait ne pas y avoir de bureau de réception ; une absence de précaution dans l’usage collectif, un manque de souci d’informer, inspiraient que les lieux étaient appropriés à des habitués. C’était une sorte de meublé au mois, ou de pension de famille.
On l’aura deviné, mes terreurs étaient dissipées. À quel moment et par l’effet de quelles impressions, je ne saurais le dire précisément, quoique, à l’évidence, le décor d’un gouvernement domestique de quiétude et de tran-tran, joint que l’Irlandais manifestait une volonté de discrétion accusant qu’ici c’est lui qui craignait de moi, en ait été le décisif. Les facultés sensorielles, brusquement libérées de la peur, s’employaient avec un bien-aise et une griserie avides sans quoi ne me fusse pas rappelé si précisément mon passage dans ce vestibule. D’autant que je n’y demeurai que l’instant qu’il fallut à mon séducteur pour aller à pas de loup de la porte à l’escalier, gravir cinq ou six marches, s’apercevoir que j’étais à la traîne et se retourner pour me faire signe de monter vite.
Restait un fond d’anxiété : qu’on nous surprît avec quelque soupçon que nous nous apprêtions à commettre ce que les Anglais du bon ton, sous la reine Victoria, appelaient une conversation criminelle. Je devais faire confiance à ce garçon ; je me rassurais à l’idée qu’un tel accident lui serait plus lourd de conséquence qu’à moi qui, n’ayant pas affaire avec cette maison, pouvais au moins espérer me sauver d’un mauvais quart d’heure par la fuite.
Je lui emboîtai le pas. Au premier étage, nous nous engageâmes dans un corridor obscur, sans fenêtre. Il fit de la lumière en actionnant le poussoir d’un interrupteur électrique. Dans le mur de gauche comme de droite, à intervalles réguliers, il y avait des portes, au linteau desquelles une petite plaque d’émail indiquait un numéro. Les moulures du plafond traversaient n’importe comment les parois ; de même, les lames du parquet à l’anglaise passaient sous les plinthes. On voyait bien que l’étage, jadis distribué en appartements, avait été cloisonné en chambres pour donner à la maison une nouvelle destination.
Il s’arrêta devant la porte numéro quatorze. Il avait à la main une petite clef. Il ouvrit. Nous entrâmes. Il referma prestement la porte et, dans le même mouvement, en fit glisser la targette.
La chambre était sombre, car un gros rideau rouge était tiré devant la fenêtre. À côté duquel, sur le mur, l’embrasse de câblé pendait à sa patère. On y voyait toutefois suffisamment pour se mouvoir et manier les objets – à aucun moment, il ne fut proposé d’ouvrir ce rideau. Dans un autre mur, une portière du même tissu rouge masquait, pouvait-on présumer, l’accès d’un cabinet de toilette. La chambre, qui n’était pourtant pas bien grande, donnait une impression de vide ; non qu’elle fût démeublée, mais parce qu’il y manquait toutes choses qui se trouvent nécessairement dans un lieu où l’on vit, surtout un garni d’étudiant. Pas un vêtement, pas un verre à boire, pas un papier, pas un livre, pas un bibelot, rien, ni rien non plus de fixé ou pendu aux murs, tendus de papier peint bleu pâle semé de roses. Si l’on avait mis hors : le lit de fer à quenouilles surmontées de boules de cuivre, couvert d’une courtepointe jaune capitonnée dont les falbalas tombaient à toucher le plancher, la chaise de bois clair, le secrétaire à rouleau, dont le cylindre levé laissait voir qu’il ne contenait pas même un crayon, et l’armoire de pitchpin, on aurait fait place nette de tout.
Les premiers mots de l’Irlandais furent pour me faire ses excuses de ce qu’il n’y eût qu’une seule chaise. Je m’assis sur le bord du lit. Il jeta sa casquette adroitement, de manière qu’elle s’accrochât à l’une des boules de cuivre comme sur un champignon de portemanteau. Il me demanda si je voulais boire quelque-chose. Je ne me rappelle pas ce que je répondis. Il alla jusqu’à l’armoire et l’ouvrit. En bas du compartiment disposé en penderie, dont la tringle était dégarnie de tout cintre, j’aperçus une valise de cuir sanglée, et un gros sac de marin en toile grise, fermé par un cordon passé dans des œillets de fer, l’un et l’autre bagages visiblement bourrés. Il retira de dessus une tablette deux verres à liqueur qu’il saisit pincés ensemble entre le pouce et l’index, et de l’autre main il empoigna par le goulot une bouteille à corps carré. Il n’y avait rien d’autre sur les rayons de cette armoire que ces deux verres et cette bouteille. Il amena la chaise face à moi, y posa les verres et la bouteille, puis s’accroupit à côté.
Jour de Dieu ! Qu’il était fort cet alcool ! J’eus suffisamment de tête pour ne humer que d’infinitésimales lichées de ce rogomme qui me pavait la langue et me brûlait l’œsophage ; sinon, j’aurais été malade.
Notre oaristys aurait moins été la furtive accointance de complices de hasard, j’eusse osé la seule demande qui pût m’inonder de soulagement : d’abord, j’aurais remercié ce garçon de sa gentillesse, et de m’avoir choisi ; puis je lui aurais fait comprendre combien j’avais déjà pris sur moi, et que c’était beaucoup pour une seule journée. Le cœur battant, j’aurais accepté un bécot sur la joue, ou que nous nous tinssions les mains. Enfin, j’aurais promis, juré – croix de bois, croix de fer ! – de revenir le lendemain « pour la suite ». Je voulais bien m’embarquer pour Cythère, mais avec des escales ; une promenade à deux au clair de lune, une tête posée sur mon épaule, un baiser surpris, de doux aveux … Heureusement, mon éducation m’avait imbibé d’un sens de la convenance me permettant de ressentir l’inopportunité dans n’importe quelle situation.

Pour tout confesser, mon défaut de pratique me laissait en doute les déportements qu’on attendait de moi, et cela me transissait. Qu’on ne se méprenne pas ! Bien évidemment, j’avais compris dès longtemps à quelles impudicités les grandes personnes, honteuses de confronter l’enfance à l’hommerie, sacrifient dans ce que Nietzsche qualifie d’adytum réservé à l’âge plus avancé. Mais restait que pour apprécier jusqu’où les salauderies – ainsi dit Brantôme – pouvaient se donner carrière, je n’avais rien à partir de quoi me régler, rien entre “La Leçon d’amour dans un parc” de René Boylesve et les spintries de Tibère à Capri dans Suétone.
Par-dessus le marché, piteux de mes dispositions du moment toutes contraires à celles de l’amour à son plus haut période, je me refroidissais encore à la pensée que mon dada demeurât court à Lérida.

Bientôt s’installa l’évidence que les bagatelles de la porte traînaient en longueur. Je ressentais douloureusement que mon compagnon me sollicitait par des silences qui attendaient ma voix, des hésitations qui quêtaient ma participation, des coq-à-l’âne essayant successivement des paroles qui fussent un biais pour aller de l’avant.
Pauvre de moi ! Elle était là, la folle panique qu’on appelle dans l’Iliade « sœur de la déroute qui glace les cœurs » !

C’est alors que, dans ma détresse, je ne parvins pas à mieux que d’excogiter un bas jeu de mots de vieux drille égrillard, suprême hoquet dans mes efforts à contre-effet pour me laisser glisser dans l’atmosphère des derniers abandonnements. M’avait tout soudain passé par la tête un idiotisme relevé il y avait peu dans le “Dictionnaire des Mots et des Choses” de MM. Larive et Fleury (dont je lisais souvent quelques pages avant de m’endormir), parce que cette façon de parler, qui se tournait naturellement en une interrogation désidérative appelant la fin de nos difficultés, est susceptible d’un libidineux second sens pourvu qu’on aide grossièrement à la lettre, double entente pitoyable à quoi j’eus la sottise de me complaire comme à une débauche d’esprit préparant les voies à une autre.
Pour ma punition, cette lamentable équivoque, je vais vous la dire.
La voici, – et je demande qu’on ne s’y attarde pas : « Mais quand donc va-t-il se décider à toucher la grosse corde ? »
Oui, je mérite un sourire affligé, et je ne le sais que trop par moi-même, car il y eut des suites : longtemps, si la rareté de l’expression « toucher la grosse corde » m’épargnait de la rencontrer, je n’ai pu tomber sur des locutions approchantes, comme « toucher la corde sensible » ou « appuyer sur la chanterelle », sans la vague ressuscitation d’un malaise.

La garrulité de l’Irlandais n’était plus qu’un bruit. Je n’osais ni le regarder, ni éviter de le regarder. De temps en temps, je buvais un petit coup, juste de quoi m’enflammer le gosier ; mon verre, toutefois, ne cessait pas d’être plein à ras bord. J’avais chaud, et cela me venait par bouffées ; j’entendais un peu lointainement. Le casse-poitrine, si peu qu’il m’en descendît dans l’estomac, n’y nuisait pas. Je me tenais roide, coudes au corps. Je considérais les rais de jour qui se faufilaient par le pourtour du rideau, ou je cherchais à m’absorber dans la vision des lignes du plafond. J’avalais ma salive. Je n’avais pas eu l’idée d’ôter mon blazer ni de desserrer ma cravate. Le col de ma chemise m’irritait. Entre les omoplates, la sueur me plaquait le maillot de corps sur le dos. Il allait falloir passer le pas, et je pouvais de moins en moins reculer.
Le sommier bougea : l’Irlandais s’était assis à côté de moi. Je ne fis pas un mouvement, je ne tournai pas les yeux, même pour guigner. Je ne le voyais pas, je ne sentais pas son contact, mais son souffle sur mon cou, oui. Et il s’était tu. J’étais suspendu dans le vide. Impossible que cela durât. J’avais les mains appuyées à plat sur les cuisses. La moiteur de mes paumes était sensible à travers le tissu de mon pantalon. Par l’effort d’une volonté de tête que tous mes esprits refusaient, je levai tétaniquement un avant-bras, décollant une main. Maintenant, cette main soulevée, il fallait bien que j’en fisse quelque chose, elle ne pouvait pas rester en l’air. Aussi je la déplaçai horizontalement, puis, sans cesser de regarder fixement droit devant moi, je la laissai tomber sur une cuisse qui n’était pas l’une des miennes, laquelle je harpai comme fait un mourant qui s’agrippe.
Ensuite je ne sais plus, j’ai un trou de mémoire. Je crois que les événements se sont précipités. Qu’on sache seulement que d’assis je me suis retrouvé couché sur le dos, qu’il n’était plus à côté de moi mais sur moi, et que de paroles entre nous il ne pouvait être question, car il s’affairait à rendre la chose impossible à lui comme à moi.
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Ocazou

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MessageSujet: Un peu plus … (quatrième et dernier message)   Apostrophe aux contemporains de ma mort Icon_minitimeSam 11 Juin 2011 - 19:08


Seuls les saints peuvent parler de tout en propres termes. Ainsi Georges Fox, fondateur des Quakers, a-t-il proclamé sa nuit de noces en apothéosant l’œuvre fécondatrice d’un long jet de liqueur.
Nous autres, qui ne sommes pas « du nombre de ces âmes simples et innocentes à qui tout est permis » comme dit Saint-Cyran, nous devons nous rabattre sur l’allégorie, telle que la définit Dumarsais dans son traité des Tropes : « discours qui est d’abord présenté sous un sens propre qui paraît tout autre chose que ce qu’on a dessein de faire entendre, et qui cependant ne sert que de comparaison pour donner l’intelligence d’un autre sens qu’on n’exprime point. »
À la fin du neuvième siècle, Abbon l’Humble, jeune diacre de l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés, entreprit de chanter en hexamètres latins le siège de Paris par les Normands, dont il avait été un témoin. C’était la première fois qu’il se jetait dans la composition littéraire ; son poème s’ouvre par une invocation dédicatoire à l’écolâtre Aimoin, auquel il devait ses lettres profanes, et à la censure éclairée duquel sa reconnaissance aspire : « Ô Aimoin, ô mon maître sacré, moi, ton disciple fervent, tout en couvrant de mes baisers et tes mains et tes pieds, je respire après l’heure où tu auras cure de ces raisins encore verts, toi qui m’a enseigné la houe et l’échalas, afin qu’ils s’aoûtent sous la pluie que tu vas y répandre et dans les feux que tu darderas sur eux. Sans cesse tu plantes et tu fouilles ta terre, ô maître admirable, et tu travailles ta vigne. Maintenant que pour la mûrir tu en appelles aussi à mes pluies et à ma flamme, verse-moi, je t’en prie, ton doux miel. Car ce dont nous gratifient ces pampres et ces grappes ne laisse pas d’être d’abord ton ouvrage. »
Je ne fus pas un adepte moins enthousiaste, mais je n’entendais pas tenir le second rôle entre les mains qui me défrichaient ; je sus éviter les gestes godiches par lesquels mon inexpérience de la frénésie eût déféré à mon initiateur. Dès l’étrenne de mes sens, le novice que j’étais se trouva convaincu d’avoir gagné sa franchise. Alors bientôt j’eus le diable au corps, et même je m’excitais à justifier pour notre compte ce que dit ce vers de Villon :

« Selon le clerc est duit le maître. »

Nos fureurs contentées, nous retombâmes sur le lit, et demeurâmes confondus en un culbutis de bras et jambes languissants, sans même le souci d’effacer la poisseuse débâcle de notre ardeur. Quelle était chez ce garçon la part de la lassitude dans cet abandon, quelle, celle d’un tendre sentiment qui n’osait se déclarer ? Dieux du Ciel ! J’étais encore suffisamment béjaune pour balancer.
Il m’aurait été salutaire dans le moment et doux au souvenir que notre déduit se terminât, comme certaine élégie de Maxime Pacificus, par un relâche plein de cajolerie où

«  Échangeant les baisers que se font les colombes,
Tendrement enlacés, nous nous reposions.
Quant à ce que j’ai fait, je suis fou si j’en parle ! »

Mais il était décidément écrit que tout devait être une leçon dans cette mémorable journée.

J’éprouvai bientôt chez mon compagnon, que j’enveloppais de câlins et de picoteries amoureuses n’amenant que soupirs d’aise convenus et sourires entendus, un détachement qui, je ne le ressentait que trop bien, se fût changé en agacement si j’avais insisté. Il est simplement rendu, pensai-je d’abord – et j’aime à croire que cela reste un bien-fondé de ma jeune présomption –; sous peu, j’aurai du change. Je fus bien détrompé.
Il se leva brusquement. Il enfila son caleçon. Il s’interrogea à voix haute sur l’heure qu’il pouvait bien être. Saisissant son pantalon, il plongea la main dans une poche pour en tirer une montre. Ciel ! Déjà ! Il avait à faire. Il avait rendez-vous. C’était dit comme le rappel en passant, à l’occasion d’une réflexion incidente, presque un a-parte à la cantonade, d’un fait qui dût m’être constant. Mes sous-vêtements, qui traînaient sur le plancher ici et là, furent par lui ramassés en un tournemain et jetés en tapon sur le lit à côté de moi. Je suis demeuré couché sur le ventre. Il s’assit au bord du lit, l’air un peu ennuyé. Pour mettre mon lever en train, il me patinait la fesse taquinement. Il fallait que je me rhabillasse. On pouvait venir. On ne sait jamais. De plus, il était tard, et il avait encore des choses à préparer … À son grand soulagement, je me mis sur mon séant et commençai de passer mes vêtements. Ne m’étant pas lavé, j’avais quelques poils qui collaient.
C’était le rat de ville qui a invité le rat des champs ! Sauf que sur la fin du dessert écourté par les alarmes, je ne le conviai point de retour. Je pressentais par ce garçon ce que j’allais dans l’avenir éprouver à maintes reprises, que

« Toute sa nation est sujette à l’amour ;
Mais cet amour s’allume et s’éteint en un jour :
J’aurais tort de vouloir qu’il en eût davantage. »
(Corneille, “Sophonisbe”, acte V, scène 2.)

Ce qui n’empêche pas que je ne me suis jamais fait à l’empressement qu’ont les repus de vous montrer la porte, comme dans un hôtel en pleine saison après que vous avez réglé la note.
Il me pria de contrôler que je n’oubliais rien. Lui-même, sous couleur d’obligeance, s’acquitta d’un coup d’œil vérificatif. Je compris bien qu’il s’assurait que je ne fusse pas dans le cas d’avoir à revenir. Ce ne fut pas sans utilité : j’allais laisser ma cravate ! Il la retrouva sous le lit, cachée par un pan de la courtepointe. Je la fourrai dans ma poche.
Il appliqua l’oreille contre la porte. Ce faisant, du pouce, il désengagea la targette. Je n’avais pas même demandé un petit bisou pour la route : certainement il m’eût été donné en la forme sèche d’un solde de tout compte. N’entendant personne marcher dans les parties communes, il ouvrit. Je pensais qu’il m’accompagnerait au moins jusqu’à la sortie de la maison, mais non. Il me dit que je n’avais qu’à claquer derrière moi la porte du dehors ; il mima « chut ! » d’un doigt sur les lèvres, et me fit signe d’y aller. Je crois que je ne lui ai même pas dit au-revoir – ou plutôt adieu.
La porte de la chambre se ferma silencieusement aussitôt que je l’eus passée. Nul besoin de faire de la lumière dans le couloir sombre, car je pouvais me diriger d’après la lueur qui venait de la cage d’escalier. Les lieux me parurent plus étroits et plus banals qu’à mon arrivée. Le grand soin qu’on apportait au ménage et à la propreté faisait ressortir une pauvreté triste et laborieuse. Au rez-de-chaussée, au bout du vestibule, qui prenait jour faiblement par les portes vitrées du salon, j’ouvris la rustique porte de service qui avait été l’épouvantable trappe d’oubliettes de mon entrée. Je vis de la rue quelques pavés ventrus, par places sertis de mousse et d’herbe chiche, le mur d’en face passablement décrépi, une descente de gouttière cabossée. Je sortis. Je refermai tranquillement la porte sur moi. Au moment qu’elle fut contre, tandis qu’appuyant sur le poucier du loquet je tenais la clenche encore levée, la serrure, qui n’était pas à pêne dormant mais à pêne demi-tour en biseau, ouvrable sans clef seulement de l’intérieur par un cor-de-chasse, claqua, m’interdisant toute marche arrière. Quelque chose de grave et d’irrémédiable avait connu sa révélation et son accomplissement. Dans un joli vers, Delphine Gay de Girardin a chanté que, dans les choses de l’amour, le bonheur innocente. Je ne me sentais pas du tout heureux ; je me sentais à la fois soulagé et inquiet. Non pas inquiet qu’il m’en mésarrivât à l’occasion de l’aventure que je venais de vivre, comme je l’avais été en nouant l’affaire, mais inquiet de moi, inquiet de ce que j’avais appris de moi. C’est qu’en effet je ne me sentais pas du tout innocent non plus. Je m’engageais dans une voie étroite, à contre-sens de celle de la parabole mystique, et pourtant non moins contraignante ; une voie qui allait m’interdire les plaisirs de la voie large, et qu’on jugera pire ; une voie de refuites, qu’on ne peut s’ouvrir qu’à travers des ténèbres extérieures empêchant qu’un chemin soit montré. Je ne doutais pas de devenir de moins en mois innocent, et je ne savais pas jusqu’où cela entraîne. J’ai cependant deviné que j’étais condamné à un succédané méprisable du bonheur : la satisfaction des sens, pour ne pas dire l’assouvissement.
Pour finir, elle était pittoresque cette venelle, qu’un peu de brouillard et de nuit aurait transfigurée, c’est vrai, en coupe-gorge des bas-fonds, mais à laquelle un doux rayon de soleil donnait le beau jour d’une paisible et charmante traverse oubliée des urbanistes, jadis chemin vert d’un Paris aux cent villages où le coq chantait. Il m’a suffi d’en parcourir quelques dizaines de mètres pour en trouver l’issue : un porche, qui ouvrait sur une rue commerçante dans laquelle il y avait des piétons et de la circulation. J’aperçus un taxi qui passait, son drapeau levé. Je fis signe au chauffeur. Il se rangea à ma hauteur et, ayant baissé la vitre de sa portière, me lança : « Hé, où qu’tu vas, garçon ? » Je répondis : « Chez moi m’sieur ! », en montant dans l’auto. Il rit. Je ne compris pas tout de suite pourquoi.
Carré sur la banquette arrière, je regardais défiler la ville sans qu’elle occupât ma pensée. Ainsi, un ministre en doute sur les graves conséquences de son présent labeur d’État écarte le rideau d’une fenêtre afin d’épurer sa réflexion abstraite par un spectacle détaché, celui des gens de la rue qui cherchent leur petite vie. Diantre ! M’étais-je donc hissé sur la tête du vulgaire en poursuivant comme un perdu une volupté réprouvée, qu’on appelait encore antiphysique dans la littérature de l’époque ? Assurément non selon la morale commune, mais peut-être remplissais-je désormais une condition nécessaire pour gagner le dessus du vent : ne pas se mettre à la remorque, ne pas se laisser manœuvrer. Quoi qu’il en fût, j’avais interposé entre la foule et moi une distance inabolissable, et je ne sentais que trop bien que la plupart de ceux dont elle me séparait eussent été d’accord de la maintenir. Aux coupables de quelque lourde faute, le Grand Meaulnes a conseillé, pour leur soulagement, cette réflexion : « Il y a pourtant, par le monde, des gens qui me pardonneraient. » Ce n’était pas pour moi. J’aurais tenu à mépris le moindre pardon. Je savais qu’il y avait, par le monde, des gens qui m’approuvaient, et je me sentais amélioré d’en être. La hauteur d’estime où se placent ceux qui nous infament, notre amour-propre veut la prévenir par une opinion de soi plus haute encore. Ce contre-coup d’une neuve autonomie de la morale, assumée pour le présent comme pour l’avenir, et aussi la gloriole d’être allé de l’avant dans un moment de peur, expliquent amplement pourquoi je me donnais les violons.
Mon bras frotta la bosse que formait mon gros portefeuille. Je n’avais pas dépensé grand-chose ! N’allais-je faire qu’un saut jusqu’à la maison ? M’exposer de but en blanc à des questions ? Le poulain échappé sentait le besoin de vaguer un peu avant de retrouver l’enclos. D’ailleurs, j’étais déjà en retard pour le dîner. J’ai dérouté le taxi jusqu’à l’enseigne d’un petit restaurant de la rue Monsieur-le-Prince, où j’avais déjeuné une fois avec mes parents. Il y avait aux murs de grands tableaux qui représentaient des scènes champêtres dans la manière du dix-huitième siècle et des ruines romantiques. Le décor m’avait paru propice à la songerie, ce qui, pour l’heure, me faisait besoin plus que de manger.

* *
*

Il était fort tard quand j’arrivai sur le palier de chez moi. J’espérais bien que tout le monde serait couché. L’oreille collée à la porte, je n’entendis rien. J’introduisis délicatement la clef dans la serrure. Le vestibule était plongé dans le noir ; on était donc déjà au lit. J’en fus fort soulagé. Avant d’aller dans ma chambre, je crus bon de faire un tour par la cuisine, en cas qu’il y eût quelque chose à mon attention, un plat froid, ou un petit mot … Je gagnai la cuisine à tâtons, et n’y fis de la lumière qu’après en avoir doucement refermé la porte derrière moi.
Tout était débarrassé, à ceci près qu’il n’y avait pas seulement, sur la table, le compotier plein de fruits qui s’y trouvait à demeure, mais aussi le rustique plateau en lames de gaulis entrecroisées qu’on n’employait guère que comme cabaret pour prendre le café au salon. Sur lequel étaient rassemblés, dans l’appareil compassé d’un surtout dressé par un maître d’hôtel de grande maison : une assiette de faïence blanche au marli orné de rinceaux – tirée d’un service de Limoges inutilisé d’ordinaire, crainte de le décompléter par un bris –, deux verres à pied – nous nous contentions couramment d’un verre à moutarde –, une fourchette et un couteau de ruolz – que seul des invités faisaient sortir de leur étui. S’étalait debout en la forme d’un flabelle ruché ma serviette – savoir-faire inédit ! –, lui servant de socle son rond de buis posé à plat dans lequel on l’avait engagée en la serrant en plusieurs doubles. Le svelte bouquetier de verre opalin qui d’habitude égayait la crédence était descendu ici porter l’élégance champêtre de quelques marguerites dodinant au bout de leurs tiges grêles et fléchissantes. Et trônait, renversé sur l’assiette, le gros bol vernissé à orillons, décoré de mon prénom, dans quoi je buvais le cacao de mon petit déjeuner. On n’avait pas préjugé quel repas aurait à rassasier le coureur de nuit. Je m’étais fait attendre ; combien j’avais été attendu, on me le signifiait sans mots en prenant le biais d’une épigramme en action, laquelle se concluait en manière d’apologue par ce détail-ci que je n’ai pas encore livré : seule fausse note à cette composition et qui lui donnait tout son sens, il y avait, brochant sur le tout, à savoir déposé sur le fond du bol, l’allumoir à briquet. Corollairement, on ne m’avait laissé aucun relief du repas. L’heure, c’est l’heure.

Je rangeai toute cette vaisselle à sa place. Je me versai un verre d’orangeade. Je pris une pomme, et je suis allé me coucher.

* *
*

Je n’entendis jamais parler de rien. Ce fut presque insupportable durant la journée du lendemain, passée dans l’angoisse du moment où l’on attacherait le grelot. Pas le moindre reproche, pas la moindre remarque. J’aurais même dit, d’abord après : pas la moindre allusion. Pourtant, ce jour-là, dans la cuisine, après le souper, mon père, debout devant la fenêtre, mains derrière le dos, regardant songeusement au-dehors quoique la nuit fût close, prononça sentencieusement cet aphorisme que j’entendais pour la première fois, et que j’appris plus tard être d’Hésiode :

« Zeus exterminera la génération qui naîtra avec les cheveux gris. »

J’ai mis longtemps à devenir certain qu’il m’avait livré là son sentiment souverain sur mon absence de la veille, et qu’il avait dit, ce faisant, tout ce qu’il avait à en dire.

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MessageSujet: Re: Apostrophe aux contemporains de ma mort   Apostrophe aux contemporains de ma mort Icon_minitimeDim 12 Juin 2011 - 23:23

Bonsoir Ocazou,

J'ai lu tout ton texte avec attention. On pourrait croire à du Flaubert, tant c'est élaboré, et d'un français quelque peu d'un autre âge, plus guère inusité. Il s'en dégage pourtant une atmosphère de début du siècle dernier pas du tout désagréable à lire.

Merci pour ces pages, et n'hésite pas à en livrer d'autres s'il te sied.

Bien à toi,
Alexandre
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MessageSujet: Autres extraits du texte.   Apostrophe aux contemporains de ma mort Icon_minitimeLun 13 Juin 2011 - 0:10

Je ne mettrai pas en ligne ici d'autres extraits, car les autres parties du texte ne sont pas « gaies ».
Reste qu'on trouvera par ce lien huit extraits du texte :
Huit extraits du texte

Bises.
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MessageSujet: Re: Apostrophe aux contemporains de ma mort   Apostrophe aux contemporains de ma mort Icon_minitimeLun 13 Juin 2011 - 11:40

Salut Ocazou,

Tiens, j'aurais cru qu'après l'expérience du gars de 15 ans que tu décris, y'en aurait d'autres, lol ! Car enfin, il va pas rester coincer après ce début ?

Ton français est un peu trop pincé pour moi. Mais sinon, j'aime bien l'histoire.
Merci pour ton lien.

Bisous de Tony
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MessageSujet: Ce n'est pas essentiellement un roman « gay »   Apostrophe aux contemporains de ma mort Icon_minitimeVen 17 Juin 2011 - 1:28

Bien sûr qu' « il ne va pas rester coincé après ce début. » C'est d'ailleurs bien dit dans le texte, par ex. :
« Je pressentais par ce garçon ce que j’allais dans l’avenir éprouver à maintes reprises, que … »
« Ce qui n’empêche pas que je ne me suis jamais fait à l’empressement qu’ont les repus de vous montrer la porte, comme dans un hôtel en pleine saison après que vous avez réglé la note. »
Etc., etc.

Mais l'objet du texte n'est pas de raconter des fredaines.
Ce livre n'est pas un roman gay.
C'est une causerie qui a des ambitions de littérature pure, et qui amène le lecteur dans l'agonie d'un vieillard. Ce qui est moins "gai", j'en conviens.
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MessageSujet: Le prière-d'insérer   Apostrophe aux contemporains de ma mort Icon_minitimeVen 17 Juin 2011 - 1:57

D'ailleurs, voici le « prière d'insérer » officiel :
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Maginhard
Apostrophe aux contemporains de ma mort
Paru le 29 janvier 2011
Éditions Chloé des Lys, Rue de Maulde 26, BE – 7534 Barry (Belgique)
I.S.B.N.: 978-2-87459-513-4


Prière d'insérer


Un très vieux monsieur au bord de la tombe livre ses réflexions et ses désarrois. Comme chez tous les grands vieillards en fin d'existence, son univers intellectuel, pour user d'une allégorie, est un va-et-vient sur une arche qui repose essentiellement sur deux piliers : l'heure présente et la jeunesse. Le texte est à la clef de voûte de cette arche.

Ce ne sont pas des souvenirs. Le propos n'est que secondairement de faire revivre un passé ; c'est avant tout de faire vivre le souvenir que le narrateur en garde, ce qui est fort différent. Il s'y promène, dans ce souvenir, comme dans un musée. On s'est attaché à donner aux choses de l'enfance le poids et l'importance qu'elles ont dans l'esprit d'un enfant, fort loin donc des récits attendris qui ne sont qu'une mise en forme nostalgique des préoccupations rétrospectives de l'écrivain adulte.

Ce n'est pas non plus un roman, mais plutôt un morceau de littérature pure, en ce sens que ce ne sont pas les événements racontés qui justifient le récit, mais l'homme en situation.

Emporté dans son glissement vers la mort, le narrateur fait un songe : il rêve sa mort nécessairement proche, en transformant en barque à Charon un bateau-mouche sur lequel il avait fait une partie de plaisir avec ses parents, quand il était petit. Et il constate combien le caractère inévitable de cette mort la rend acceptable pour tout le monde et même un peu pour lui, ce qui a donné lieu dans la première partie du texte — simple notation d'ambiance — à un parallèle entre la mort des vieillards et celle des animaux d'abattoir.

Enfin, intermède entre les deux bouts de la vie, une aventure homosexuelle vécue dans l'adolescence illustre un arrachement vers l'âge adulte dans un narré volontairement inspiré de celui des contes.

Julien Green, dans son journal (Ce qui reste de jour, 26 septembre 1968), a noté ceci : « Il y a dans le rêve une économie de moyens admirable. Tout ce qui n'est pas essentiel est éliminé. Le sujet est mis en valeur dans une lumière fulgurante qui rejette dans les ténèbres extérieures l'inutile, le détail, ou alors le détail est isolé dans cet éclairage surnaturel et y prend la toute première place, l'hallucinante première place. Si l'on pouvait écrire et composer ainsi, on ferait de grandes choses. »

L'auteur d'Apostrophe aux contemporains de ma mort a été immodeste. Il s'est prétendu capable de réussir à quelque-chose comme cela. Juger si l'entreprise a été honorablement soutenue n'appartient qu'au lecteur.
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MessageSujet: Re: Apostrophe aux contemporains de ma mort   Apostrophe aux contemporains de ma mort Icon_minitimeSam 27 Juil 2013 - 16:00


Salut Ocazou

Ouf ! j’ai à peine parcouru quelques paragraphes que je suis épuisé mentalement. J’ai dû y revenir plusieurs fois pour passer à travers. Si ton ouvrage visait à démontrer que tu es très érudit, c’est réussi.
«français classique quelque peu élaboré» ! Je dirais plutôt que tu y as mis le paquet...
Ce qui frappe, bien sûr, c’est le langage châtié à l’extrême, les descriptions minutieuses, l’accumulation de détails.  

De juger si «l’entreprise a été honorablement soutenue » ? Je n’en suis pas qualifié.  
Je peux seulement exprimer l’impression qui m’en reste. Un malaise. Une lourdeur, comme une crème trop riche qui reste sur l’estomac.

Mais loin de moi l’idée d’enlever à l’auteur son mérite.  Pour ciseler un pareil ouvrage il faut de la détermination, un but précis. D’habitude quand je lis un texte je m’attarde au contenu. Bizarrement en lisant les extraits de ton ouvrage c’est l’auteur qui m’intrigue. C’est l’auteur dont j’essaie de cerner la personnalité. Ici, je dirais que le contenu est secondaire. L’auteur ne cherche pas à tenir le lecteur en haleine. C’est autre chose qui m’échappe.
Donc j’ose poser la question : pourquoi as-tu écrit ce livre ? Ou pour qui ?  

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MessageSujet: Re: Apostrophe aux contemporains de ma mort   Apostrophe aux contemporains de ma mort Icon_minitimeDim 28 Juil 2013 - 0:06

L'érudition n'est pas gratuite. Par les objets sur lesquels elle porte, c'est l'aboutissement logique de ce qu'on enseignait dans les lycées, en histoire et en littérature, sous la troisième république.
De même, la langue n'exploite que les principes de grammaire normative exposés dans les grammaires scolaires de l'époque.
Mais avec une densité dans l'emploi de ce que l'évolution ultérieure de l'enseignement et de la langue jettera par-dessus bord, qui, psychologiquement, rend ce passé encore plus révolu.

S'agissant du style, M. Aloysius Chabossot, sur son blog, m'avait déjà posé la question. Voici ce que je lui ai répondu (avec une bonne dose de provocation humoristique qu'il faut garder à l'esprit) :
http://comment-ecrire-un-roman.eklablog.net/l-auteur-d-apostrophes-s-exprime-a23871204

La littérature ne consiste pas à raconter des événements auxquels des hommes sont mêlés, mais à raconter les hommes dans la situation des ces événements.

Mon texte n'est pas un roman, c'est une causerie. Dans un roman, l'auteur cherche à s'effacer derrière le récit. Dans une causerie, tout au contraire, l'auteur reste central et il intervient en tant que tel ; à telles enseignes qu'il se livre parfois à des développements, à des considérations incidentes, qui ne sont pas justifiés par la trame du récit, mais qui sont des compléments d'origine personnelle au récit.

La source du texte, ce sont des rêves, De vrais rêves ; du moins ce qu'on en peut cueillir au moment du réveil, en s'étant précautionné d'un stylo et d'un bloc de papier sur la table de nuit.

Quant au côté commercial, on ne s'en occupe pas, bien entendu. On travaille pour l'œuvre en soi. Ensuite … habent sua fata libelli. D'ailleurs, si vous vous laissez entraîner à écrire un fonction d'un lectorat visé, ce lectorat devient virtuellement co-auteur, vous en devenez le nègre, et ce n'est plus votre livre, mais un livre dont vous êtes le fabricateur.

Dans la troisième partie du livre, on perd tout contact avec les réalités factuelles (cf. la citation de Green). Sans doute cela  permet de mieux comprendre les deux premières parties. Le texte est une sorte de terminus par rapport à des textes plus anciens de même inspiration : Abel Hermant, par exemple, auteur à qui je dois beaucoup (cf. ses Mémoires d'un enfant d'hier).

Du malaise ? A la bonne heure ! (Pourvu que ce malaise ne provienne pas simplement d'une difficulté de langue).

Si vous voulez voir plus loin :

apostrophe.ias3.com
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MessageSujet: Re: Apostrophe aux contemporains de ma mort   Apostrophe aux contemporains de ma mort Icon_minitimeDim 28 Juil 2013 - 4:05


Merci d’avoir répondu.
Un malaise ! Être confronté à mon ignorance est une situation dont je suis seul responsable.
Mon commentaire n’était pas une critique pour laquelle, je répète, je ne suis pas qualifié mais un intérêt par rapport aux motivations de l’auteur.  Et puisque tu dis quelque part que dans une causerie l’auteur reste central , mon questionnement me semble donc à propos.

Je constate que tu admets toi-même exploiter un style d’écriture révolu. C’est du moins ce que je comprends par «une densité dans l'emploi de ce que l'évolution ultérieure de l'enseignement et de la langue jettera par-dessus bord».
On pourrait penser que tu es de la vieille école et que tu as refusé ce que l’enseignement appelle l’évolution. Tu as persisté dans le style que tu as acquis au lycée au risque de subir le rejet. Ce qui n’a pas tardé.

J’ai subi aussi l’influence du classique. Ton style ne m’est pas étranger mais il est tellement dense. Tu dis quelque part que «la critique que j’attends avec une certaine impatience n’est pas une critique sur la forme , mais sur le fond du propos.» Je serais tenté de répliquer que la forme dans ton ouvrage occulte le propos. Pour le commun des mortels, tout au moins.  Mais je comprends , tu ne veux pas «écrire en fonction d'un lectorat visé». Tu ne veux pas écrire pour le commun des mortels. Tu veux écrire pour l’œuvre en soi.

On pourrait répliquer que la langue n’est pas statique. Mais c’est un argument inutile. Personne n’est tenu de suivre le courant.

En somme, je ne doute pas que tu écris très bien. Tu maîtrises un style dont le seul tort est de n’être plus à la mode.  Si je me décide de te relire, j’essaierai de franchir la barrière de la forme pour me concentrer sur le propos.

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MessageSujet: Re: Apostrophe aux contemporains de ma mort   Apostrophe aux contemporains de ma mort Icon_minitimeDim 4 Aoû 2013 - 16:15

Salut Ocazou

Tu es encore relativement jeune, as-tu l’idée d’écrire un autre livre?
Je me demande aussi ce qui t’a motivé dans le choix de ton sujet. Écrire les réflexions d’un vieillard sur son lit de mort s’apparente indirectement à une biographie, même si l’accent est mis sur les idées et les sentiments. Et puisque le narrateur doit forcément s’identifier au personnage central, il s’agit en fin de compte d’une biographie de l’auteur, une sorte de testament intellectuel.
As-tu été déçu de la réception de ton bouquin ?
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MessageSujet: Re: Apostrophe aux contemporains de ma mort   Apostrophe aux contemporains de ma mort Icon_minitimeDim 4 Aoû 2013 - 22:13

Les ventes (à de vrais lecteurs, c'est-à-dire à des lecteurs qui, n'ayant aucune relation avec l'auteur, n'ont d'autres raisons de s'intéresser au texte que le texte lui-même), doivent atteindre une quarantaine d'exemplaires.

Encore une fois, ce livre n'est pas une biographie, pas plus que ce n'est un roman : c'est une causerie.

Les retours que j'en ai (qui viennent souvent moins des ventes que des larges extraits disponibles sur l'internet) se groupent en deux catégories très tranchées.
Un petit nombre de personnes, qui se comptent sur les doigts de la main, me tiennent pour l'un des plus grands écrivains que le soleil ait jamais éclairé sur la surface de la terre (éloges extrêmes peu nombreux, certes, mais que Marc Lévy n'obtient pas malgré 400 000 rexemplaires);
les autres, c'est-à-dire la très grande majorité, me trouvent illisible, prétentieux, contourné, pédant, mais-pour-qui-qui-s'prend-çui-là, etc. Voilà.

Ce qui ne me pousse guère à écrire autre chose.

Mais je songe à m'y mettre, c'est vrai.


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MessageSujet: Re: Apostrophe aux contemporains de ma mort   Apostrophe aux contemporains de ma mort Icon_minitimeLun 5 Aoû 2013 - 4:11

Salut Ocazou

Je te remercie de ta réponse honnête et , ma foi, lisible…

Je ne dirais pas que tu es prétentieux car je ne connais rien de toi.  Mais je me suis demandé si tu parlais comme tu écris, auquel cas, la plupart des gens doivent effectivement te trouver prétentieux.  Au temps du collège, il y avait un garçon qui se plaisait à nous balancer des mots rares. C’était sa façon de se faire valoir, sans doute ! On n’a pas cherché à le savoir. On l’appelait (dans son dos, bien sûr) la «précieuse ridicule». Il avait peu d’amis.

Quand j’ai parcouru tes lignes j’ai tout de suite reconnu un style en vogue à une certaine époque, pas si lointaine. Illisible pour plusieurs, prétentieux pour d’autres. Oui mais le style l’exigeait. Et comme j’ai dit plus haut, tu le maîtrises bien. À mon avis, bien sûr.. Mais bon, mon avis vaut ce qu’il vaut !

À force de te voir insister sur le mot causerie, j’ai fini par consulter différents dictionnaires pour en avoir la définition. Dans l’ensemble, on parle d’exposé sur un ton de  simplicité, aimable bavardage, conversation familière ou encore : écrit sur un ton familier tenant de la conversation.
Désolé mais ta causerie ne qualifie pas du tout . À moins qu’elle s’adresse spécifiquement à ce «petit nombre de personnes, qui se comptent sur les doigts de la main» ? Quelques élus des vrais lecteurs…

Tu as un sens de l’observation aigu et il me semble, un imposant bagage de connaissances.  Mais oui, tu devrais écrire encore. De la même façon ou pas, c’est à toi de voir. Ça dépend avec qui tu veux causer.

amicalement
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MessageSujet: Re: Apostrophe aux contemporains de ma mort   Apostrophe aux contemporains de ma mort Icon_minitime

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