Chapitre 28 - Benjamin
Le village de Bourdic est entouré de verdure et de vignes, de grands champs de lavande aussi, et les propriétés se touchent vigne à vigne, bien souvent. Ainsi, le Mas d'Armand voisine celui d'Eunice, veuve et mère d'un gars un peu simplet qui reste avec elle et qu'Armand avait pris en affection, lui apprenant les gestes nécessaires à faire progresser la vigne et à amener le raisin à maturité avant de vendre celui-ci à la Coopérative du village, comme lui-même.
Eunice accueille donc chaleureusement « les belges », leur tendant la clé de la maison d'Armand qui avait toujours été vieux garçon et un très bon voisin.
Elle les invite à s'asseoir à sa grande table dans la longue pièce basse de son logis servant à la fois de cuisine et de salle à manger, et leur offre du vin qu'elle déclare elle-même « léger mais pas désagréable », même si la région ne produit pas un grand cru, mais plutôt un bon vin de table.
La brave femme est vive et courageuse, et elle leur explique que sachant qu'ils arrivaient, elle avait été nettoyer entièrement la maison avec son fils Benjamin et mis des draps frais aux lits.
- Oh merci, Eunice, pour tout cela ! s'émeut Céline en ayant fait le tour de la bâtisse avec elle et sa belle-soeur.
- Mais ce n'est que normal, ma bonne dame, l'Armand en faisait tant pour nous vous savez...
- Vous semblez encore émue de sa disparition ?
- Ma foi oui, peuchère, c'était devenu comme un frère pour moi à la mort de mon homme, et Benjamin a tout appris de lui depuis. Il fut comme un second père pour lui, alors...
- Alors lui aussi a eu beaucoup de chagrin, je suppose ?
- Bonne mère oui ! Même plus que de son père, car là il était encore si petit !
- Pauvre garçon...
- Oui, il est bien fragile allez, mon pauvre gars. Mais il se remet doucement. Le plus difficile pour lui est de penser que d'autres personne vont habiter la maison d'Armand, où il se sentait comme chez lui, vous savez.
- Oh, mais il restera le bienvenu ici, bien sûr ! Et nos garçons pourront être des compagnons pour lui s'il le veut. Quel âge a-t-il déjà ?
- De fait, il a vingt ans, maintenant, mais mentalement... il a bien moins, il faut bien le dire !
- D'accord. Pas de problème pour nous : qu'il ne change pas ses habitudes, et qu'il vienne ici quand il veut, bien sûr. Et encore merci pour tout, Eunice.
Les nouveaux propriétaires s'installent donc « chez eux », tout en découvrant d'abord les lieux par un « tour du propriétaire » fait tous ensemble. Outre la grande pièce du bas, et une sorte de « grange-atelier-remise » attenante, l'étage comporte quatre chambres et un grenier où s'entasse des tas de vieilles choses.
La bâtisse est faite de gros moellons, grosses pierres du pays sans doute, recouverte d'un crépi qui est effrité en bien des endroits, laissant voir les pierres qu'il recouvre.
« L'Armand voulait ôter le crépi pour qu'on voie la pierre, puis la rejointoyer, comme l'ancien curé a fait de l'église, mais il a pas eut le temps, le pôvre... » leur avait encore dit Eunice. Alain l'avait assuré qu'ils le feraient sans doute, « à la petite semaine », un peu chaque fois qu'ils viendraient...
Les chambres sont vite réparties entre eux. Une grande chambre à un lit double pour les parents de Pierre, une petite à un lit pour Céline, et les garçons dormiront dans une chambre à deux lits jumeaux, la dernière chambre ne servira pas cette fois.
Eunice ayant décrété que ce soir ils étaient tous ses invités pour le repas du soir, ils se rafraîchissent et s'habillent de frais avant d'aller la rejoindre, avec Benjamin qu'ils n'ont pas encore rencontré.
Ils se rendent donc bientôt au « Mas d'Eunice », distant d'une centaine de mètres à peine, puisque leurs propriétés se touchent directement.
La brave provençale leur a préparé une grosse soupe de légumes, des baguettes, du fromage, et du vin de leur production, pas du tout désagréable.
La table les a tous rassemblés, car Eunice ayant sonné d'une cloche se trouvant à l'extérieur, son fils se montra après quelques minutes, revenant des vignes où il passait ses journées.
Benjamin est un grand gars, bien bâti, avec des cheveux noirs bouclés, un teint basané par le soleil, un petit nez retroussé et un air véritablement angélique. Il a gardé d'ailleurs la voix haut perchée de l'enfance, et le curé du village le fait chanter dans la chorale des enfants aux grandes occasions : il a gardé une voix très pure et fait des solos magnifiques. Les enfants l'adorent, même s'ils le mènent souvent en bateau, mais jamais méchamment car la beauté de sa voix en impose, et son « angélisme » les enchantent malgré eux : ils se battraient tous pour le défendre.
Là, sur le seuil, il semble bien intimidé par les nouveaux venus, mais sa mère lui présente chaque personne, l'une après l'autre, et le force à donner la main. Yves reçoit cette bonne poignée de main du garçon, franche et cordiale, mais aussi réservée. Il lui est aussi accordé un petit sourire, car étant le plus jeune, Benjamin semble attiré par lui, aussi se place-t-il d'office à sa droite à table et ne le quitte-t-il pas des yeux durant le repas, le servant avec empressement si quelque chose vient à lui manquer.
Yves est ému par ce garçon et voit en lui un autre « renard » à apprivoiser, peut-être ?
Mais lequel des deux sera le Petit Prince, cette fois ?
N'est-ce pas lui, cette fois, le Renard, déjà prêt à se laisser dompter par ce regard si doux et si candide ?
Il fut convenu que demain Benjamin leur ferait faire le tour des vignes, plus importantes qu'il n'y paraissait à première vue.
Mais Eunice les rassura en disant qu'à présent Benjamin suffisait à la tâche pour les deux propriétés, et pour les vendanges, elle s'occuperait de recruter les ouvriers agricoles s'ils le voulaient, « pas de problème »...
La soirée se passa ainsi gentiment, dans la chaleur retombée, et c'est la douceur du ciel provençal, si beau d'étoiles étalées généreusement, qui berça leur nuit.
Bien sûr, Pierre et Yves ont vite fait de pousser leurs lits l'un contre l'autre... pour mieux dormir dans les bras l'un de l'autre, après s'être aimés rapidement, car ils sont fourbus par cette longue journée.
Que leur réservera demain ?